La France offre aujourd’hui un spectacle affligeant, une image qui ne peut que rendre perplexe les observateurs étrangers.
Notre pays depuis la période des Lumières, depuis la Révolution française, depuis l’implantation de la République à la fin du XIXème siècle ou depuis l’épisode de la Résistance, la France donc est à travers le monde un modèle pour la tolérance, pour l’application des droits de l’Homme, pour la démocratie et la laïcité ou pour la défense universelle de ces principes. C’est d’ailleurs pour cela que les évènements de janvier 2015, les attentats comme la manifestation du 11 janvier, ont eu un tel retentissement mondial.
Or ces dernières semaines, alors que des populations civiles fuient des combats qui ont déjà fait plus de 100 000 morts rien qu’en Syrie, alors que la plupart des pays européens accueillent ces réfugiés en tant qu’êtres humains en détresse, que se passe-t-il en France ? Une majorité de Français refuse l’accueil de quelques milliers de personnes ; on entend des maires défendre publiquement la discrimination religieuse ; d’autres mettent en avant que la France aurait dépassé ses capacités d’intégration.
Pourtant, qu’est-ce que 24000 réfugiés pour 36000 communes en France ? 100 000 réfugiés signifieraient seulement une famille par commune !
Pourquoi la population allemande, pays où pourtant l’immigration est déjà largement présente, accueille en majorité à bras ouverts ces personnes, considérant même les immigrants comme une chance pour l’Allemagne ?
Pourquoi la Suède, qui accueille déjà 14% d’immigrés dans sa population (11% en France) n’a-t-elle pas les mêmes inquiétudes que nous sur ses capacités d’assimilation ?
Comment une famille politique enfin peut-elle à la fois prôner une laïcité stricte face à l’Islam, sur le voile ou sur les menus scolaires, pour ensuite trier les réfugiés en fonction de leur religion ?
Evidemment, il ne faut pas être caricatural. Certains faits peuvent expliquer ces paradoxes : la situation démographique en Allemagne, qui a besoin de main-d’œuvre formée ; le chômage élevé en France, qui fait craindre la concurrence sur le marché du travail ; l’absence de réelle politique volontariste d’accueil et d’assimilation en France, contrairement à la Suède, qui a pour effet de pousser à l’entraide communautaire ; l’histoire récente qui fait que les Allemands ou les Finlandais sont particulièrement réceptifs aux souffrances des réfugiés. Et il ne faut pas oublier que des pays comme la Hongrie où le Danemark, où des partis d’extrême-droite sont au pouvoir ou majoritaires au parlement, ont une position plus fermée que la France. Enfin, de très nombreux Français, des associations, des politiques, s’activent pour accueillir décemment ceux qui choisiront de venir dans notre pays.
Cependant, le constat objectif reste que la société française n’est plus en phase avec les principes qui sont associés à la France dans le reste du monde.
La principale explication est sans doute l’implantation du discours du FN en France. Certains Allemands sont opposés à l’accueil des réfugiés, mais leur discours reste minoritaire et fortement rejeté par une majorité de la population. Les peurs agitées, souvent sur des bases racistes ou xénophobes, sont contredites par des arguments objectifs des politiques et des intellectuels d’outre-Rhin. La tolérance religieuse est une valeur réelle et la laïcité n’y est pas un paravent pour cacher l’islamophobie.
En France, au contraire, la conjonction de la crise économique et d’un discours « décomplexé » de la droite sur l’immigration et l’Islam depuis les années Sarkozy ont fait passer l’immigré (et le réfugié) comme un envahisseur, voleur potentiel de travail ou d’allocations, et éventuellement terroriste en puissance. Et cela, largement au-delà de l’électorat d’extrême-droite, jusque dans celui de gauche.
Marine Lepen ne fait que surfer sur cette peur de l’autre qu’elle entretient évidemment, puisque la dénonciation du bouc-émissaire lui fait office de programme politique.
Si le FN n’a pas conquis le pouvoir par les urnes, et parions qu’il n’y arrivera pas, ses thèmes sont maintenant installés dans les esprits d’une majorité de nos concitoyens.
Cette crise des réfugiés met en lumière la gangrène qui gagne les valeurs fondatrices de la République et de notre vivre-ensemble. Les Français (re-)découvriront-ils que ceux qui arrivent en Europe (et pas seulement du Proche-Orient) sont des êtres humains comme les autres et pas des envahisseurs ou des terroristes ? Que la France fait partie des pays les plus riches du monde et qu’elle peut sans difficultés financer la solidarité qui s’impose ? Qu’on ne peut plus fermer les yeux sur les milliers de femmes, d’hommes et d’enfants qui meurent chaque année en essayant d’entrer en Europe ? C’est aussi dans la capacité de l’Ecole à faire passer ces valeurs et à former des citoyens responsables que se dessinera la réponse.
Olivier Buon