Le “rapport” produit par Gérard Longuet sur le travail enseignant, expliquant comment supprimer une partie des 500 000 emplois de fonctionnaires prévus par le programme électoral de François Fillon, a été largement médiatisé.
Il s’agit clairement d’un élément de la campagne électorale, et non d’un rapport habituel tombant “par hasard” au bon moment. Le contexte est clair : obligé de reculer sur son programme de démantèlement de la Sécurité sociale, largement rejeté par les Français, le candidat de la droite engage le combat sur un autre sujet clivant : les fonctionnaires, et les plus fainéants d’entre eux, les profs. L’électorat de droite est en général friand de ce type de critiques.
Derrière une présentation technocratique (“rapport”, beaucoup de chiffres et de calculs, des références à des textes de loi, à des études et à d’autres rapports) censée donner de la crédibilité au travail, se cache en fait une vision caricaturale du travail des enseignants.
Un raisonnement implacable …
Pour le Second degré, Gérard Longuet critique d’abord l’organisation hebdomadaire de notre temps de travail. Il met en parallèle les heures “perdues” certaines semaines (à cause de stages, d’examens, de voyages scolaires ou autre) alors que d’autres semaines, on paye des heures supplémentaires aux mêmes collègues, que ce soit annuellement (HSA) ou ponctuellement (HSE). De fait, notre service est défini de façon hebdomadaire (18h en général, 20h pour les profs d’EPS, 30h pour les documentalistes, 15h pour les agrégés …), et l’administration ne peut pas reporter d’une semaine sur l’autre des cours supprimés sans notre accord.
Il indique ensuite que le nombre de semaines travaillées (36) est moins fort en France qu’ailleurs.
Ensuite, il part d’une référence aux 1607 heures, qui est celle de la fonction publique, mais auxquelles nos statuts par corps indiquent que nous faisons dérogation, pour comparer le nombre d’heures statutaires faites et ce que nous “devrions” faire.
Ainsi un certifié qui doit 18 heures sur 36 semaines ferait 648h ; que l’on multiplie par deux (travail de préparation, de correction, de réunion …), soit 1296h. Gérard Longuet propose alors de rajouter deux heures hebdomadaires, ce qui nous fait arriver à 1440h annuelles.
Pour récupérer les 167h restantes, il pointe des “bouts de chandelles” à reprendre sur les décharges de service en première par exemple, ou sur les décharges hors présence des élèves qui sont d’ailleurs aujourd’hui essentiellement rémunérées en IMP.
Pour les agrégés, la différence de temps de service est aussi pointée et amène aux propositions que l’on imagine.
Un résumé détaillé se trouve sur le Café pédagogique.
Présentées comme cela, les choses paraissent relativement rigoureuses. Maintenant …
Le temps de travail réel des enseignants est d’environ 43 heures par semaine pour un certifié (pour les autres corps, sauf agrégés, le temps de travail est comparable). En multipliant par 36, on arrive pas loin des 1607h. L’argument est cependant ici surtout moral, car en fait
le statut particulier des enseignants a sa justification.
Le travail des enseignants est largement dépendant de la présence des élèves ; il est donc logique qu’il soit défini en fonction des vacances de ceux-ci (et on ne va pas les faire travailler plus juste pour faire plaisir à Gérard Longuet). Difficile donc de jouer sur ce paramètre, d’autant qu’on en voit pas la raison, sauf à faire du fétichisme sur le chiffre 1607. On peut imaginer baisser le temps de présence des élèves en réduisant le temps de vacances, mais cela ne changera pas le nombre d’heures global.
Augmenter le temps de présence des enseignants sur une semaine est peut-être un paramètre séduisant vu de l’extérieur, quand on aligne des chiffres ; cela s’oppose à la réalité de ce que peuvent subir les collègues. Travailler 43h par semaine en moyenne est visiblement déjà trop. Les collègues sont épuisés, notre enquête sur la fatigue au travail le confirme. Rajouter des heures de travail améliorera peut-être les comptes publics, il va détériorer à coup sûr la qualité du service public. Tout adulte comprend que travailler fatigué avec des enfants ou des jeunes devient vite insupportable.
Gérard Longuet pourra répondre qu’il ne fait que passer des heures souvent faites en heures supplémentaire vers des heures statutaires. Dans ce cas, nous n’aurions juste que le même temps de travail (déjà trop important) payé moins cher ! Et dire que le dernier chapitre du rapport s’intitule “une réforme qui ne pourra faire l’économie d’un effort salarial important” !
Travailler plus pour tous, payé moins cher pour une grande partie : pas sûr que le métier enseignant attire plus dans les prochaines années.
Il est vrai que si le programme de François Fillon s’applique, il n’y aura pas beaucoup de recrutement à faire : le nombre de places aux concours risque d’être proche de zéro.
On a donc un rapport qui explique que les enseignants sont de réels fainéants depuis des décennies que ce système existe. Ne parlons même pas de l’époque où le temps de travail était à 39h, car il était rigoureusement le même et la référence était alors 1790 heures par an !
Il se plaint du nombre trop important d’heures supplémentaires que pourtant les gouvernements de droite pendant 10 ans (de 2002 à 2012) ont fait exploser !
Il propose d’augmenter les obligations de service pour tous, en échange d’une baisse de salaire pour la plupart.
Jamais le rapport ne se pose la question d’une dégradation éventuelle du service rendu aux élèves : cela n’a certainement que très peu d’importance. Les gouvernements de droite n’ont toujours vu l’Education nationale que comme une dépense, jamais comme un investissement.