“Convergence des luttes”, l’expression est actuellement entendue jusqu’à plus soif à la moindre mobilisation de salariés ou de personnels.

L’idée semble évidente : il s’agit de fédérer tous les mécontentements pour amener le gouvernement à reculer sur tous les fronts : code du travail, PPCR, réforme de la fonction publique, Ehpad, hôpitaux, Carrefour, SNCF, bac, CIO, bientôt les retraites. Plus forts ensemble, ces différents mouvements pourraient obliger le gouvernement à reculer. Et il est vrai que la CFDT est en conflit avec le pouvoir sur de nombreux points.

Mais la CFDT ne veut pas entrer dans cette logique. Cette convergence est inefficace, on le sait. L’expérience montre que le combat syndical obtient des résultats quand il a des objectifs précis, identifiés, avec une mobilisation qui se trouve en cohérence. Un combat global ne sert qu’à permettre au mécontentement de s’exprimer, sans résultat.

De plus, la “convergence des luttes” a surtout un but plus politique que syndical : il s’agit de faire des salariés et des personnels des “porteurs d’eau” de combats qui se déroulent normalement dans les urnes. Une partie de la gauche n’a pas digéré la victoire de Macron et surtout la défaite électorale de son héros autoproclamé sauveur du peuple et de la France. Elle cherche le troisième tour social. Son objectif est éminemment politique, et les combats syndicaux ne sont qu’un moyen.

A cela s’ajoute la certitude pour les militants de cette gauche d’être les seuls dépositaires de la vêrité, de l’intérêt du peuple, et que ceux qui ne sont pas d’accord sont des naïfs, des idiots ou des traitres. D’où les attaques répétées et violentes contre les médias par exemple. C’est logique, car comment expliquer autrement que l’immense majorité du peuple ne soutienne pas ses défenseurs autoproclamés, sinon par la désinformation dont les journalistes seraient l’instrument ?

La CFDT est inquiète aussi de la politique menée actuellement par le gouvernement. Elle était inquiète dès avant l’élection présidentielle, au vu du programme du candidat Macron. La CFDT n’est pas pour le statu quo, quand le chômage reste fort et que les souffrances sont nombreuses. Le président met effectivement en place son programme fondé sur des réformes rapides. Cependant, le changement ne se fait pas au bénéfice de toute la société et de tous les territoires. Certains sont abandonnés, ou l’amélioration de leur sort est renvoyé à plus tard, quand ce sont actuellement ceux qui n’étaient pas les plus à plaindre qui se trouvent renforcés. Les attaques des dernières semaines contre les services publics symbolisent bien ce travers, car ce sont les populations les plus fragiles et les territoires les moins intégrés qui en subiront d’abord les conséquences. Comment se débrouilleront par exemple les publics les plus éloignés de l’Ecole pour s’informer sur l’orientation de leurs enfants ou sur la formation professionnelle quand les CIO auront disparu ? Comment se débrouilleront-ils dans le maquis de l’internet ? Comment accèderont-ils à des aides qui seront peut-être payantes ?

De plus, le macronisme, là où il est réellement identifiable, c’est-à-dire dans sa conception de l’exercice du pouvoir, court-circuite les représentants de la société civile, en particulier les syndicats. La CFDT est très attachée à la discussion et à la négociation. Les citoyens d’aujourd’hui, massivement éduqués, plus que jamais dans l’histoire, sont capables de prendre collectivement des décisions intelligentes et responsables à l’échelle de leur espace de vie quotidien, que ce soit dans leur commune ou leur quartier, ou sur leur lieu de travail. Cependant le gouvernement actuel n’utilise de fait pas la négociation avec les syndicats, la trouvant inutile. Les discussions ne sont que de pure forme, les décisions étant déjà prises. Les ministres et le président  préfèrent les idées venant d’esprits brillants certes, mais isolés et sans recul, à celles de structures qui réfléchissent depuis de nombreuses années à des solutions élaborées collectivement. A ce jeu, les syndicats “de lutte” ou de “combat” sont les ennemis idéaux du gouvernement, car ils n’apportent pas de solution alternative crédible.

Comme le dit justement la tribune signée par Laurent Berger et d’autres représentants de syndicats réformistes (voir ici), “au final, c’est la promesse d’égalité portée par le service public qui est rompue. Nous refusons une société d’individus, où la seule loi du marché régulerait les rapports sociaux et où l’Etat se contenterait de garantir aux plus précaires des droits réduits à leur strict minimum.”

Pour conclure, appeler à la convergence pour les personnels qui se battent, c’est leurrer les personnels et les salariés. Abandonner le sort des exclus de la croissance qui repart au supposé effet d’entrainement de ceux qui réussissent est fort dangereux.

La CFDT respecte le verdict des urnes et ne veut pas que la France s’engage dans un extrémisme plus qu’aventureux en abandonnant les principes fondateurs de la démocratie. C’est le sens de son appel à battre le Front national au second tour de la présidentielle. Elle ne veut pas non plus que les décisions actuelles fassent le lit de ce même extrémisme dans 4 ans et s’y opposera si elles ne vont pas dans le bon sens. La CFDT n’est ni pour la convergence des luttes, ni pour défendre la politique actuelle. La ligne de crête risque d’être difficile à tenir, mais c’est la seule route possible.

sgen