Pour ratisser le plus large possible, il faut faire plaisir à tout le monde. Le programme d’Emmanuel Macron pour l’éducation est donc un mélange assez informe et critiquable de propositions de droite libérale et d’orientations de gauche.

Le programme officiel d’Emmanuel Macron se fait attendre. Si nous avions mauvais esprit (mais ce n’est pas notre genre), nous pourrions penser que lui et son équipe ne veulent pas froisser les éventuels ralliements de mauvais perdants pro-Manuel Valls et de centristes de droite déçus du candidat qui aime tant sa famille, François Fillon… Pour l’instant, si nous voulons avoir une idée du programme pour l’éducation du chef de file du mouvement En marche, et savoir vers quelle direction il part, nous sommes obligés de nous contenter de son livre et de ses déclarations, en particulier son interview à l’Obs du jeudi 10 novembre et son discours du 14 janvier à Lille, où il révélait ses mesures phares pour l’éducation. En gros, comme la plupart des candidats, Macron veut améliorer l’école primaire et l’orientation : ça ne peut pas fâcher, et ça parle à tout le monde. Mais ses solutions impliquent deux virages très différents.

Le premier virage est clairement à gauche : Emmanuel Macron préconise une « véritable mixité sociale » en réformant la carte scolaire pour casser la ghettoïsation et en diversifiant l’offre dans les collèges non attractifs. Il souhaite concentrer les moyens du primaire (nombre d’enseignants, primes) sur les REP : le nombre d’élèves serait divisé par 2 avec 12 000 postes supplémentaires.  Ce qui est présenté comme un grand changement est en réalité un approfondissement des orientations et une généralisation des expérimentations qui ont débuté sous Hollande, mais il est vrai, avec une réelle ambition. Au fait, comment finance-t-il son dispositif ? En faisant des économies sur le baccalauréat. Contrôle continu à la place des examens ? On ne sait pas.  Apparemment, on marche pour l’instant des fois dans le brouillard…

Le second virage nous fait déraper à droite : il met en avant l’autonomie des établissements. Si elle a été clairement énoncée par Emmanuel Macron dès le début de sa campagne au niveau de la pédagogie en école primaire et de l’offre de formation des Universités (qui serait tournée davantage vers l’insertion sur le marché professionnel), elle semble concerner également dans ses derniers discours de façon inquiétante le choix des enseignants du primaire et du secondaire par les chefs d’établissement – on pourrait l’imaginer en particulier dans les réseaux d’éducation prioritaire où Macron souhaite  nommer des enseignants « plus expérimentés « . Sur l’enseignement professionnel, c’est clairement la sortie de route.  Il explique en effet dans son livre Révolution qu’il souhaiterait le régionaliser : « si l’enseignement professionnel ne se développe pas comme il devrait, c’est que l’éducation nationale le méconnaît et que le rôle de formation est trop peu assumé par les entreprises. L’Etat doit définir les programmes et le cadre de l’enseignement professionnel, et la gestion de ces filières doit être transférée aux régions.» Bref, une proposition dangereuse que portaient les candidats les plus ultralibéraux de la primaire de la droite, qui implique la casse du statut des professeurs de LP et la fin d’une vision humaniste des études professionnelles secondaires. voir ici

Finalement, un peu de marche forcée vers le libéralisme anglo-saxon (pour tout ce qui concerne les études professionnelles), mais pas de marche arrière de droite réac (il refuse de toucher au collège unique ou de modifier les programmes par exemple), et au contraire des avancées pour le primaire et le collège. Sauf que même mesurée, l’autonomie des établissements peut nous inquiéter car elle peut favoriser le caporalisme chez les chefs d’établissement. Sauf que l’éventuel transfert à la région des lycées professionnels publics est tout simplement inacceptable pour les personnels. Sauf qu’à droite, on va dénoncer les dépenses publiques pour le primaire et d’éventuelles augmentations d’impôts, et à gauche s’interroger à juste titre sur leur financement. On aura finalement bien compris l’obstacle principal et classique pour le trajet vers le pouvoir du candidat Macron, le jour imminent où il ne sera plus seulement une figure médiatique jeune, élégante et sémillante, mais aussi le visage d’un programme énoncé clairement : en voulant faire plaisir à tout le monde, il risque de ne contenter personne !

Stéphane Hardel