En juin et juillet a eu lieu une grève exceptionnelle des surveillances et des examens de la part de certains de nos collègues, à l’appel de collectifs comme les stylos rouges et de plusieurs syndicats. Les conséquences sont désastreuses, tant en termes de conséquences pour les collègues concernés (retraits de salaire importants) que d’image de l’institution vis-à-vis de l’opinion publique. Nous pourrions mettre en avant que nous n’avions pas appelé à ce mouvement, jugeant qu’il s’agissait d’une mauvaise stratégie, même si nous étions en accord avec les principales revendications (rappelons que le SGEN-CFDT n’a pas voté pour les réformes des lycées et s’est particulièrement opposé à celle du LGT). Mais la négociation qui nous est chère ne l’a pas emporté non plus. Et toute leçon ou morale serait indécente et irrespectueuse vis-à-vis de nos collègues grévistes, car même si nous n’approuvons pas leurs modalités d’action, il est indéniable que nos collègues ont défendu une cause juste de façon pacifique. La réponse à leur mouvement a permis de confirmer (si certains en doutaient encore) ce que M. Blanquer et la majorité sont véritablement : un pouvoir clairement autoritaire et méprisant vis-vis des fonctionnaires. Car le vrai et seul responsable de ce désastre, c’est ce pouvoir et particulièrement le ministre de l’éducation nationale, qui a laissé pourrir la situation par calcul politique.

Un ministre prêt à négocier la réforme : un mensonge éhonté !

Le ministre prétend devant l’opinion publique que « sa porte était ouverte ». C’est un mensonge. Pourrions-nous appliquer la loi sur les fake news – chère à la majorité – au ministre ? Les syndicats réformistes avaient certes obtenu par la négociation des avancées intéressantes sur la réforme de la voie professionnelle (plus de dédoublements, plus d’heures disciplinaires pour certaines matières), mais encore insuffisantes de notre point de vue, et à l’inverse nous n’avions obtenu rien de substantiel par la négociation pour la réforme du lycée général et technologique. Or, c’est surtout cette réforme qui suscite l’ire des collègues – avec raison : une « usine à gaz » inapplicable et inégalitaire. C’est pour cela que nous avons d’une part, pour le LP, voté l’abstention et d’autre part, pour le LGT, voté contre. Le Conseil Supérieur de l’Education a finalement donné un avis négatif majoritaire sur les deux réformes. Le ministre a décidé de passer outre cette décision démocratique. Les organisations syndicales dont le SGEN-CFDT ont multiplié les critiques et les avertissements, le ministre n’a rien pris en compte. Nous avions demandé en particulier une renégociation de la réforme du LGT. Au final, puisqu’il s’agit de décrets, ce sujet essentiel (le lycée, le bac) n’aura même pas été discuté par la représentation nationale. Pour la rentrée à venir, les personnels de direction et d’encadrement multiplient les signaux d’alarme en ce qui concerne la mise en place de la réforme du LGT, ils ne sont pas plus écoutés. En réalité, la porte du ministre ne semble ouverte que lorsqu’on ne remet pas en cause ses projets et son agenda. A l’inverse, au lieu de négocier, il a préféré tendre un piège médiatique pour mettre au pas ses agents.

Les autres fondements de la colère : des mesures sans cesse au détriment des enseignants

Il était évident qu’une grande partie des collègues déjà chauffés à blanc par d’autres mesures prises unilatéralement (blocage du point d’indice, obligation de faire une 2e heure supplémentaire) allaient forcément passer des menaces sur les examens à l’action. La saignée de postes dans le secondaire décidée pour la rentrée prochaine (liée à la multiplication des heures supplémentaires) va aussi renforcer les difficultés en dégradant les conditions d’enseignement. Toutes ces mesures ont été ressenties comme autant de signes de mépris, non seulement à l’égard des syndicats et des représentants des enseignants, mais vis-à-vis des enseignants eux-mêmes. Il n’est pas non plus étonnant de constater que le mouvement est souvent plus suivi dans des endroits réputés pour être « difficiles » (93, Toulouse…). Quiconque a enseigné dans ces zones sait à quel point notre quotidien est dur dans ces endroits et ce que nous pouvons subir : agressions, insultes, dégradations… A aucun moment, le ministre n’a proposé de solutions pour ces collègues du secondaire, à part de vaines flatteries pour l’ensemble du corps qu’il a réitéré dans son dernier message pour les grandes vacances, et dont l’hypocrisie semble aujourd’hui patente. Tout cela rend le métier de moins en moins attractif, générant une crise du recrutement, ou des démissions de jeunes collègues.

« Radicaux », « otages » : contester pacifiquement, est-ce extrémiste ou criminel ?

Ne cherchant à aucun moment la négociation, le ministre et la majorité ont laissé les collègues entrer en action, pour mieux dénoncer leur « irresponsabilité » ou leur « radicalité », la palme de la malhonnêteté intellectuelle revenant à la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye expliquant que les enseignants grévistes n’étaient « pas élus » et donc n’avaient aucune légitimité – alors que ce génie de la communication ne l’est pas plus, ainsi que… M. Blanquer ! Depuis quand faut-il être élu pour donner son opinion? Une relecture intéressante des droits de l’Homme et du citoyen, en particulier de la liberté d’expression. M. Blanquer a dégainé une première image prise dans le champ lexical du crime en évoquant un « sabotage ». Le summum de la mesure et de la sagesse a été atteint peu après par le président de la République reprenant la fameuse métaphore de la « prise d’otage » (des élèves), image employée lors de tout mouvement par les commentateurs les plus réactionnaires pour attaquer le droit de grève. Les collègues seraient donc comparables à des terroristes ou des malfaiteurs dignes de Mesrine. Comme d’autres l’ont déjà souligné, hormis le fait que c’est un véritable scandale de criminaliser symboliquement un mouvement social pacifique, il s’agit d’une insulte pour toutes les personnes ayant été victimes de vraies prises d’otage…

Un déferlement anti-profs haineux et symptomatique d’une démocratie malade

Ne restait plus à certains journalistes et commentateurs très peu objectifs de multiplier les attaques contre non seulement ces collègues, mais aussi l’ensemble du corps (principalement sur certaines chaînes d’info en continu [1]), puis à certains hommes politiques de demander des sanctions exemplaires pour ces vilains terroristes, déployant les clichés haineux et éculés les plus vomitifs sur les enseignants (privilégiés, travaillant peu, toujours en vacances, trop bien payés), élevant le débat au niveau de propos de fin de banquet d’extrême-droite trop arrosé. Vu leur représentation fantasmée du statut d’enseignant, on se demande pourquoi ils préfèrent être journalistes, chroniqueurs ou hommes politiques au lieu d’aller enseigner dans le 93 : ce n’est pourtant pas très éloigné des arrondissements chics parisiens ! Ce déchaînement anti-enseignants qui va bien plus loin qu’un simple mépris de la part de « l’élite », cette haine bien palpable des profs s’est déchaînée en direct à la télévision, au point que certains ont évoqué le renvoi des collègues. Et pourquoi pas la déchéance de nationalité? Dans la grande mansuétude de notre ministre, les collègues n’auront donc finalement que des retraits de salaire de… deux semaines, ce qui reste finalement disproportionné pour avoir rendu des copies un jour ou deux en retard, quand bien même cela a provoqué des problèmes importants de fonctionnement de l’institution et d’autant plus que les copies étaient corrigées. Drôle de « porte ouverte ». Peut-être pour l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite illibérale? En tout cas, ce gouvernement lui pave la voie vers l’Elysée en ayant les mêmes pratiques et les mêmes discours au niveau politique et social, son libéralisme n’étant apparemment qu’économique.

Bidouillages et sacrifice de la valeur du diplôme sur l’autel de l’autorité du ministre

La manière dont les résultats ont été bidouillés afin de pouvoir obtenir une publication au moment prévu laisse pantois. Certes, nous ne trouvons pas qu’évaluer sur la moyenne annuelle soit scandaleux en soi, nous le demandons même au SGEN. Ce qui est discutable, c’est de changer les règles de l’examen en cours de route et d’avoir un « double système » que forcément, ceux qui estiment avoir été lésés par le déroulement du bac vont pouvoir contester devant les tribunaux administratifs (tous ceux qui ne l’ont pas eu ou qui ne sont pas satisfaits de leurs mentions !). Reste à la justice de déterminer s’il y a eu effectivement rupture de l’égalité à l’examen. Les témoignages affluent cependant : jurys non réunis… mais qui ont tout de même des résultats, notes « inventées » à la louche en fonction des autres résultats pour les candidats libres, et c’était évident, élèves qui obtiennent finalement le bac grâce au contrôle continu alors qu’ils étaient en réalité recalés (les seuls personnes qui peuvent remercier le ministre dans cette crise). Et finalement, une suspicion sur la valeur de l’examen aux yeux de l’opinion publique, pour un diplôme qui déjà n’avait pas besoin de cela… M. Blanquer aurait pu négocier pour éviter ce désastre. Mais ce qui compte, c’était d’affirmer son autorité sur le corps enseignant en faisant un exemple. D’ailleurs, il n’a jamais eu d’autre but, puisqu’il a laissé pourrir la situation.

Qu’est-ce que l’autorité en démocratie?

Rappelons à notre gouvernement que ce n’est pas parce qu’il a été nommé par un président élu par le peuple qu’il a une puissance sans limites et que le respect des opinions différentes fait partie de la démocratie. Rappelons que la colère expliquant les mouvements sociaux ne s’éteint pas à coups de lacrymogènes ou de retraits de salaire, mais avec plus de justice sociale et d’écoute des citoyens. Rappelons à notre ministre que l’obéissance basée sur l’autoritarisme n’est jamais pérenne. Nous, enseignants du secondaire, le savons d’autant plus par notre expérience d’encadrement des élèves : l’autorité acceptée, car basée sur la bienveillance et le dialogue, est toujours plus respectée que l’autorité imposée par la contrainte. Or, après cet épisode lamentable de la grève du bac qui conclut une séquence de mesures au détriment du personnel de l’éducation nationale, quel enseignant peut encore avoir confiance en son ministre ? Quel enseignant peut accepter véritablement son autorité basée sur le mépris, la contrainte et l’intimidation ? M. Blanquer a gagné (pour l’instant) une bataille politique aux yeux de l’opinion publique, mais il a perdu le respect d’une majeure partie du corps enseignant. Pour lui, une minorité d’enseignants agissait, mais la majorité silencieuse approuve ses mesures (en tout cas c’est ce qu’il prétend publiquement). Il se trompe lourdement. Sans compter que les enseignants qui n’ont pas choisi ces modalités d’action en ont peut-être choisi d’autres, comme refuser le poste de professeur principal à la rentrée. Le ministre doit accepter de discuter rapidement avec les organisations syndicales et remettre à plat sa politique, sinon il sera seul responsable du déroulement et de l’issue d’une crise sans précédent dans l’éducation nationale qu’il a lui-même initiée.

 

Stéphane Hardel, militant Second degré

 


[1] Si vous n’avez pas assisté en direct à ces scènes hallucinantes, l’article du journaliste de Télérama Samuel Gontier est particulièrement édifiant : https://www.telerama.fr/television/les-copies-du-bac-prises-en-otage-par-une-minorite-agissante-en-voie-de-zadisation,n6328170.php