costumeLes élections présidentielles 2017 seront non seulement l’occasion d’un crash-test pour la démocratie, mais aussi pour l’éducation républicaine, et particulièrement pour les lycées professionnels. Comme nous l’avions analysé précédemment, les candidats du centre, de la droite et d’extrême-droite ont décidé de favoriser l’alternance et les CFA au détriment des lycées professionnels. Ils étalent aussi à l’envi des propositions toutes plus thatchériennes les unes que les autres. Est-ce le retour des 80s ? Qu’on se le dise, la mode est un éternel recommencement, même quand on a vu clairement que le costume était ridicule et mal coupé.

Or, si quelqu’un s’y connait en matière de costume impeccable, c’est bien François Fillon. Il nous en a cousu un : sur mesure, évidemment, mais malheureusement pas à nos mensurations, plutôt à celles du secteur privé.

Sur son site, le candidat de droite résume ses propositions de la façon suivante : " Pour l’accès des jeunes à l’emploi, la solution plus efficace que les contrats aidés existe et elle a fait ses preuves : l’apprentissage. Je veux faire de l’alternance la principale voie d’accès à l’emploi des jeunes (…)." N’oublions pas qu’on parle d’un homme qui s’y connaît en problèmes de stages et d’emplois !

La mutation voulue par la droite filloniste pour l’enseignement professionnel est un condensé des pires propositions que nous avions déjà évoquées lors de la primaire qui a vu sa victoire inattendue. Il s’agit de propositions ultralibérales, où la région et surtout le patronat seront les seuls décideurs. Elles s’inscrivent dans le contexte d’une réduction drastique du nombre de fonctionnaires (500 000) et d’une réforme générale de l’enseignement, où les établissements deviendront autonomes (les chefs d’établissements pourront recruter leur personnel : pour une fois, c’est écrit noir sur blanc), où les professeurs (ces vilains fainéants) auront plus d’heures de présence (environ 25 % de plus). Mais nous offrira-t-on une belle montre pour mieux gérer notre temps? Ces changements impliquent, pour qui réfléchit un minimum, la fin de notre statut.

Donc, au programme :

– fusion ("jumelages") entre CFA et lycées professionnels ;

– développement de la mixité dans les LP ;

– régionalisation de la gestion des CFA et LP "en association avec les branches" (ce qui signifie dans la bouche d’un homme politique : les représentants du patronat) et donc fin du statut des PLP ;

– rythme de l’alternance choisi avec (par?) les entreprises ;

– exonération "totale des charges sociales pour les entreprises qui embauchent un jeune en alternance” (nous avions déjà dénoncé dans cette proposition le risque d’un effet d’aubaine) ;

– un vague préapprentissage, qui est une déclinaison du serpent de mer de droite qui consiste à abaisser l’âge du travail à 15 ans (tiens, pas à 14?) ;

– j’ai gardé le meilleur pour la fin : la création d’ "un dispositif incitatif pour que les entreprises qui comptent plus de 4 % de jeunes en alternance parmi leurs effectifs soient autorisées à dépenser les fonds de la taxe d’apprentissage pour créer leurs propres centres de formation". J’attends avec impatience d’être embauché dans le CFA-LP MacKFC, où je donnerai des cours d’histoire du burger et des sauces à la place de l’histoire politique des USA.

Bref, la formation ne sera plus guidée par le souci de donner aux jeunes les compétences de professionnels ET la culture de citoyens éclairés, ou par le souci de l’intérêt général, mais uniquement par des objectifs économiques à court terme déterminés par les intérêts privés d’entreprises locales. Et le jour où on délocalise ou bien on fait faillite, qu’arrive-t-il à cette main d’œuvre ultra-spécialisée?

Alors, heureusement, diront certains, il existe l’alternative Emmanuel Macron, un homme de goût qui préfère lui aussi les costards bien taillés aux tee-shirts informes. Et puis, un type qui affirme que nous devons "faire l’objet d’une plus grande reconnaissance de la nation" ne peut pas être complètement mauvais.

Hélas ! Pour rentrer dans le costume, il va falloir encore muscler notre offre d’alternance :

– généralisation de la mixité dans les LP (nous n’aurons pas vraiment le choix puisque que la taxe d’apprentissage n’ira plus qu’aux établissements ayant véritablement des apprentis) ;

– obligation de performances (établissements labellisés en fonction de l’insertion des élèves en entreprise, obligation pour les LP de publier leurs résultats sur les trois dernières années, même les projets des équipes seront évalués) ;

– participation des "branches" (nous avons déjà vu ce que ça signifie) non seulement dans l’organisation des formations mais aussi dans la définition des programmes (à nouveau, bienvenue au lycée-CFA MacKFC !) ;

– enfin, quand l’équipe d’ "En Marche" évoque l’autonomie accrue des établissements "pour s’adapter au contexte local", elle se garde bien – les petits malins – de parler clairement du recrutement des enseignants, ou de leur statut, mais on est en droit de se méfier…

Pour résumer par une proposition, Emmanuel Macron aime tellement l’alternance dans l’Education nationale qu’il la promet aux futurs professeurs dès la licence !

Alors faut-il, par désespoir ou colère, renverser la table avec Marine Le Pen ? Son programme pour l’enseignement professionnel est à la fois clair dans sa direction et flou dans ses moyens : il s’agit de " revaloriser le travail manuel par l’établissement de filières professionnelles d’excellence". Première question qui vient à l’esprit : cela signifie-t-il que les filières tertiaires, qui ne sont pas manuelles, ne sont pas d’excellence ? Qu’elles sont médiocres, voire infâmes? En tout cas, pour parvenir à ces "filières d’excellence", l’alternance sera valorisée "sous la houlette des branches professionnelles", d’après ce que nous apprend une vidéo sur l’apprentissage du site du FN. Tiens, mais alors, quelle est la différence avec ce que propose François Fillon? Le collège unique sera supprimé et l’apprentissage autorisé dès 14 ans, ce qui constitue une grande différence face à ce modéré de Fillon qui parle de 15 ans, n’est-ce pas ? Bref, le FN est aussi en marche vers l’apprentissage, mais avec une légère différence : il marche au pas, grâce au port de l’uniforme à l’école !

Quand la table renversée se retrouve finalement dans le même sens qu’avec les autres candidats, c’est un comble, non ?

S. HARDEL