2017 n’est pas 2002, c’est le moins que l’on puisse dire !
Pas de choc au soir du premier tour, pas de front républicain, pas de manifestations monstres … Au contraire, les résultats étaient attendus, annoncés par les sondages ; certains refusent d’appeler à voter pour Emmanuel Macron tout en appelant à faire battre Marine Le Pen, d’autres se rallient même au nom du gaullisme (un comble pour un parti dont certains fondateurs étaient des défenseurs de la collaboration et de l’OAS !) Enfin, les quelques manifestations appellent essentiellement à ne choisir ni l’un, ni l’autre des candidats. Même les organisations syndicales n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour défiler ensemble contre le FN.
Et le résultat ne sera certainement pas du 82-18% !
La situation a effectivement changé depuis 15 ans, le FN est devenu une force politique majeure en France, qui arrive en tête dans la moitié des communes françaises lors de ces élections, mais qui était déjà devant toutes les autres formations politiques lors des derniers rendez-vous électoraux. Le fait qu’il soit deuxième dimanche dernier est plutôt une nouveauté, sans être rassurant. Cela fait des mois (des années !) que l’on sait qu’il sera au second tour, et même qu’il peut arriver au pouvoir, après ce qui s’est passé en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.
On ne peut plus considérer comme en 2002 que la présence de Marine Le Pen au second tour est une anomalie ponctuelle, une aberration conjoncturelle, et qu’il faut juste l’empêcher de nuire sur le court terme. Combattre ces idées qui sont maintenant installées passe par leur analyse, leur démontage, par la construction ou du moins la publicisation d’une alternative crédible, pas seulement défensive mais offensive pour faire entrevoir un avenir meilleur. Et en second lieu (mais c’est aussi essentiel), il faut une réussite dans les faits de cette alternative : moins de chômage, de pauvreté, une fierté dans notre modèle de société, une confiance dans sa pérennité. L’indignation ponctuelle, même massive, ne suffit plus.
Le modèle social qui est issu de la Seconde guerre mondiale est arrivé à son terme, fondé qu’il était sur une croissance économique forte limitée à quelques pays riches qui finançaient ainsi leur protection sociale. Le tout, en partie au moins payé par la pauvreté endémique dans le Tiers-Monde. La mondialisation, si elle a permis à d’autres parties du monde de développer une classe moyenne, a aussi exposé celle de notre pays à des changements rapides, brutaux et répétés, avec un chômage lancinant qui ruine la confiance dans l’avenir.
La solution réside sans doute dans une évolution à la « nordique », avec une société qui accepte les règles du commerce mondialisé et qui est protégée par un Etat qui impose des cadres sans s’opposer aux évolutions, mais qui les accompagne ; et alors l’enseignement et l’augmentation continue des compétences (en initial comme en continu) de l’ensemble de la population (et pas seulement des meilleurs élèves) est fondamental. C’est en tout cas la solution qui s’accorde le mieux avec les valeurs de démocratie et de respect de l’humain, quelle que soit sa nationalité et son origine. Cela signifierait un choix clair, de faire une croix sur notre fonctionnement d’avant. Jamais depuis les années 70 la société française n’a eu le courage de le faire.
Les solutions de repli, présentées par les extrêmes, paraissent naturellement de bon sens : on est « agressé » par le monde extérieur, donc on se protège en s’enfermant, tant pis pour les autres (ceux qui se noient dans la Méditerranée par exemple ou qui meurent tués par les gaz lâchés par leur gouvernement) ; on tente de revenir à ce qui se passait avant en oubliant que le monde a changé et que d’ailleurs la situation n’était pas aussi rose …
En refusant de voir la réalité d’aujourd’hui en face, en ressortant les recettes du passé, en instrumentalisant les peurs, les souffrances (qui sont réelles), en refusant aussi de renoncer à cette arrogance que l’on nous reproche souvent à l’étranger plutôt que d’accepter d’aller s’inspirer de ce qui fonctionne à l’étranger, la société française a creusé un fossé immense entre ses valeurs revendiquées (l’égalité, la solidarité) et ce qu’elle vit au jour le jour.
Le FN doit être combattu, dans ses idées, dans ses valeurs, dans son travestissement (avec des gens très inquiétants cachés derrière la vitrine), mais avec des armes efficaces : un projet (pas un retour à ce qu’il y avait avant ni des discours apocalyptiques) et une amélioration effective de la situation. La CFDT est à la pointe d’un tel combat et elle oeuvre pour offrir de réelles perspectives et non des solutions de facilité.
Cependant, pour travailler, il faut avoir un interlocuteur. Il n’est pas possible que celui-ci soit le FN. Les valeurs de ce parti ne peuvent pas s’accorder avec les nôtres. Au-delà même de celles-ci et du programme de Marine Le Pen, comment imaginer donner le pouvoir aux individus et aux groupes qui nagent dans le sillage de la candidate, qui parlent de “race blanche”, de “soupes identitaires”, de “génération anti-racailles”, qui ont du mal à accepter la réalité des génocides de la Seconde guerre mondiale, et dont les propos antisémites ou homophobes ne sont plus à prouver ? Et que penser du respect de la démocratie dans un parti dont les chefs sont issus de la même famille, de génération en génération, et dans lequel la succession se fait à coup d’exclusions ?
Nous serions forcés d’entrer en résistance si ce parti parvenait au pouvoir.
Pour l’écarter, il faut aller voter dimanche 7 mai. Pas pour glisser un bulletin blanc, mais pour y mettre un bulletin “Emmanuel Macron”. Par conviction ou par raison, peu importe, mais il est inimaginable que des citoyens fuient leur responsabilité (tout en espérant que d’autres les assumeront à leur place) au risque d’une catastrophe que nous et nos enfants payerions longtemps.
Olivier Buon
Secrétaire général du SGEN-CFDT de Basse-Normandie