Le projet de Nicolas Sarkozy pour notre profession commence à se dessiner nettement et il multiplie les idées simplistes, les raccourcis et les provocations à la Donald Trump. D’autres candidats de la « primaire de la droite et du centre » suivent plus ou moins cette pente dangereuse.
Lundi 26 septembre, au micro d’Europe 1, Nicolas Sarkozy a rappelé son souhait d’abaisser l’âge de l’apprentissage à 14 ans. On ne s’étonne même plus des sorties réactionnaires de l’ancien président de la République, qui pense que l’élection se gagnera à l’extrême-droite. Il est en revanche inquiétant de constater que cette proposition n’est qu’un aspect d’une offensive de son parti sur l’enseignement professionnel et sur l’Education en général. Le site de campagne de Nicolas Sarkozy affirme que « l’apprentissage doit devenir la voie de droit commun pour l’obtention d’un bac professionnel ». « Pour cela, les lycées professionnels ouvriront des sections d’apprentissage en leur sein, à l’image des centres de formation d’apprentis. » Ces propositions sur l’enseignement professionnel sont loin d’être différentes de celles de ses concurrents.
En effet, dans son ouvrage Mes chemins pour l’école, Alain Juppé, son principal adversaire, propose également, afin de développer l’apprentissage, le « rapprochement » des CFA et des Lycées Professionnels, de réduire le nombre de formations proposées et de baisser « massivement » le coût de l’apprentissage pour s’adapter aux besoins des entreprises. Même direction de la part de Bruno Le Maire, mais celui-ci va plus loin (ou est plus direct) : il fusionne LP, GRETA, CFA et prévoit la fin du statut de fonctionnaire d’État des Professeurs de Lycées Professionnels (PLP), qui deviendront des fonctionnaires territoriaux rattachés à la région…
Une grave rupture de la philosophie de l’enseignement professionnel et une saignée en vue pour le personnel
Si le développement de formations en alternance au sein des LP est intéressant pour proposer une diversité de parcours, on peut au contraire s’inquiéter d’une vision aussi étroite de l’orientation dès lors que l’alternance pourrait devenir le seul choix possible pour toute une catégorie d’élèves, et ce dès 14 ans… On imagine mal cette nouvelle voie permettre aux bacheliers professionnels de changer d’orientation, de maîtriser les compétences indispensables au passage dans l’enseignement supérieur et d’acquérir les connaissances générales nécessaires au citoyen éclairé – tout ce qu’apporte aujourd’hui le Lycée Professionnel. On peut aussi trouver cela utopique quand on sait que les apprentis ont parfois du mal à trouver un patron, même en envisageant des cadeaux fiscaux (qui provoqueront surtout un effet d’aubaine).
Enfin, quand on fait la synthèse de toutes les propositions, on comprend qu’il s’agit à terme de fusionner les LP et les CFA puis de supprimer l’un des deux. En effet, quel intérêt à maintenir deux entités au fonctionnement devenu équivalent ? Quelle que soit l’issue de ce rapprochement, le devenir des collègues de LP et de CFA (en particulier dans les matières générales) s’annonce sombre avec la suppression de « 300 000 postes de fonctionnaires » pour Nicolas Sarkozy, en grande partie dans l’éducation nationale (il prévoit 20% de postes en moins !), ce que l’ancien président a confirmé sur Europe 1. Sans compter qu’il souhaite introduire une large autonomie des établissements et un renforcement de l’autorité du chef d’établissement pour l’embauche des enseignants : bref, un système à l’anglo-saxonne mâtiné de caporalisme très frenchy. Les autres candidats à la primaire lui emboîtent le pas sur ce point, mais aussi sur les suppressions de postes de fonctionnaires : par exemple, Alain Juppé, plus modeste, en prévoit 200 000 à 250 000 quand Bruno Le Maire en promet… 1 million ! On ne s’étonne pas de voir Le Point titrer fièrement la semaine dernière : « Thatcher, le meilleur programme pour 2017 » !
Haro sur le temps de travail des enseignants !
Il serait aussi intéressant de savoir à quel taux les professeurs seront rétribués dans les nouvelles structures de l’alternance. Mais rassurons-nous, Nicolas Sarkozy, jamais avare d’idées quand il s’agit de notre profession, met en avant un autre projet pour l’ensemble des enseignants : avec 25 % de temps de service supplémentaire (ce qui allonge le service à 22 ou 23 heures), nous gagnerons 25 % de salaire en plus, mais parfois il écrit 20 %, autrefois il a dit 30 % : ça descend, ça monte, c’est un peu comme la marée… Évidemment, il ne s’agit pas de reconnaître le temps consacré à d’autres activités (réunions, préparations, corrections…), mais bien de nous faire travailler davantage devant élèves. Sarkozy ne sait toujours pas – depuis le temps qu’on lui répète – que nous travaillons déjà beaucoup plus que 18h ! Pourtant, en 2010, une enquête de l’INSEE avait prouvé qu’un enseignant travaillait environ 40 h, ce qui avait été déjà démontré en 2002 par une étude de l’Éducation Nationale. Mais la désinformation sur les enseignants a la peau dure, en particulier avec l’ancien président de la République qui en est la principale caisse de résonance.
Pour se justifier, Nicolas Sarkozy a réitéré dernièrement son affirmation grotesque et manipulatoire selon laquelle un professeur ne travaillerait que 6 mois dans l’année, se basant sur les jours de travail des élèves, donc sans compter le travail hors-classe, mais aussi sans les week-ends, les congés payés, les jours fériés, les périodes d’examens… Les journalistes de la rubrique Désintox de Libération avaient déjà fait remarquer en mars avec ironie qu' »avec ce type de calcul, toutes les personnes qui travaillent cinq jours sur sept seront ravies d’apprendre qu’elles ne bossent que huit mois et demi par an ».
Alain Juppé est plus modéré sur ce point, mais souhaite tout de même augmenter notre « temps de présence ». Là encore, cela sent le cliché éculé : le fonctionnaire caricatural, à l’œil fixé sur la pendule, qui se précipite dès la fin de ses heures pour rentrer chez lui… La réalité du terrain est très différente : réunions fréquentes avec les collègues, projets à mener sur place, parents à rencontrer, travail de préparation au lycée pour des raisons pratiques, matériel à installer, etc. L’imaginaire de ces candidats semble bien éloigné des réalités de notre métier.
Trumperie sur la marchandise
Nous ne détaillerons même pas les internats pour élèves difficiles à l’arrière-goût moisi de maisons de correction ou le service militaire pour jeunes en perdition et autres « trumperies » de Nicolas Sarkozy. Car qui est encore dupe de la manipulation derrière ces rengaines démagogiques ? Il s’agit en réalité de supprimer à nouveau des postes en masse, d’augmenter encore les effectifs des classes, de légaliser l’inégalité et la sélection scolaire, de flatter l’électorat poujadiste anti-profs et de finir de salir l’image de l’Education nationale pour mieux briser notre statut et l’enseignement public. Il s’agit particulièrement pour Nicolas Sarkozy de régler définitivement ses comptes avec un corps qui lui a trop résisté. Mais il est encore plus triste de constater que les autres candidats à la « primaire de la droite et du centre », y compris ceux considérés comme plus raisonnables, s’alignent parfois pour des raisons électoralistes sur des propositions populistes basées sur des dogmes néolibéraux poussiéreux et des mythes caricaturaux glanés dans les caniveaux de l’extrême-droite.
Stéphane HARDEL