Ces derniers temps, des hommes politiques, avec en chefs de file le président de la République et le ministre de l’Éducation Nationale, des reportages, parfois mêmes des syndicalistes, nous présentent l’alternance (=l’apprentissage) comme la potion magique face au chômage, un remède miraculeux à l’éducation des jeunes et à leur insertion professionnelle. Ces points de vue émanent en général de personnes qui ne travaillent pas dans l’enseignement professionnel. Ils se fondent intellectuellement sur des systèmes étrangers comme celui de l’Allemagne, dont les conditions économiques, le tissu industriel et la culture sociale sont différents de la France, ou sur la nostalgie fantasmée d’un passé depuis longtemps révolu dans la plupart des métiers, quand un jeune devenait très tôt l’apprenti de celui qui était en général un artisan, et non un chef d’entreprise. « A cette époque, les jeunes bossaient et respectaient l’ordre, ma bonne dame » : il est certes facile pour nos politiciens de jouer sur les clichés culturels et d’appâter des jeunes adolescents qui ne voient souvent dans l’apprentissage que l’aspect positif, à savoir un début d’autonomie financière par rapport à leurs parents, mais qui déchantent parfois quand ils sont confrontés à la charge de travail, aux déplacements ou aux conditions de travail qu’on leur propose.

Tous les acteurs de l’enseignement professionnel savent combien, dans de nombreux cas, il est difficile pour un jeune souhaitant devenir apprenti de trouver un patron. Beaucoup d’élèves arrivent dépités dans le système traditionnel faute de l’avoir trouvé… Dire que les chefs d’entreprise sont rétifs à l’embauche d’un apprenti relève parfois de l’euphémisme, à part dans certains métiers où c’est resté la tradition. Il faut en effet trouver une entreprise prête à investir de l’argent et du temps de formation pour un jeune qui n’est pas rentable immédiatement. Donner des réductions fiscales ou des aides ne serait qu’un palliatif qui provoquerait essentiellement un effet d’aubaine. Le remède pourrait s’avérer plus nocif que la maladie et nuire à la qualité de formation des jeunes. En clair : peut-on faire comprendre par des réductions fiscales que la formation d’un jeune, faute d’être un profit immédiat, est un profit à long terme pour l’entreprise qui l’emploie et la société dans son ensemble ? Ne risque-t-on pas seulement d’offrir une main d’œuvre dynamique gratuite ou quasi-gratuite, jetable, sans contreparties ?

D’autre part,  vouloir réduire la réussite de l’insertion professionnelle à l’apprentissage relève d’une fraude intellectuelle. De nombreux élèves des filières classiques du lycée professionnel ou de BTS trouvent des emplois grâce à leurs stages en entreprise et à la qualité de leur formation. Ils sont mieux armés pour poursuivre des études, se réorienter et avoir plus tard une promotion sociale. Il ne faut pas oublier que des formations trop spécifiques peuvent nuire à la polyvalence, à l’adaptabilité…

Enfin,  il faut veiller à ce que le jeune ne soit pas seulement un salarié en formation, mais aussi un citoyen en formation recevant les notions et éléments culturels nécessaires à son ouverture au monde et à sa compréhension. Il serait dommage de sacrifier cet aspect quand on voit les dégâts intellectuels infligés à notre jeunesse par les extrémistes de tous poils et une société de consommation régressive. N’a-t-on pas déploré récemment dans les médias un QI moyen qui baisserait ?

Bien entendu, nous ne cherchons pas à prétendre que l’apprentissage ne fonctionne pas ou est une solution au rabais : au contraire, il peut être une solution efficace pour une partie des jeunes de la formation professionnelle, mais seulement dans certains métiers, et dans certains cas. L’alternance peut être particulièrement une solution en fin d’études, quand se rapproche l’échéance de l’embauche, pour une approche progressive du métier.

Notre position vis-à-vis de l’apprentissage est donc nuancée, contrairement à celles d’autres syndicats qui y sont totalement hostiles ou, à l’inverse, de certains politiciens ou idéologues libéraux qui y voient la panacée : nous nous déclarons favorables à l’existence de l’apprentissage comme moyen complémentaire à la voie classique, favorisant une diversité des parcours, mais pas à ce qu’il devienne la règle et surtout pas sans conditions, notamment au niveau des emplois du temps et de la charge de travail des collègues. Par exemple, des sections publiques professionnelles dans notre académie sont menacées par la baisse démographique et peuvent être sauvées par l’existence d’une part d’alternance, permettant d’offrir une formation à des jeunes qui seraient allés plutôt dans un CFA privé. Il faut être pragmatique quand il y va de l’intérêt à la fois du personnel (préservation des postes) et de l’insertion professionnelle des jeunes. Cependant, nous préférons de ce point de vue la création de mixités de parcours (par exemple 2 ans de bac en parcours classique puis une dernière année en alternance) à des mixités de statuts ou de publics compliquées à gérer.

Le SGEN demande en effet un bilan national de la mixité des publics qui pose trop souvent des problèmes lourds, à la fois administratifs, pédagogiques et en termes de conditions de travail des collègues.

Stéphane Hardel

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