Depuis décembre, la situation a considérablement évolué sur le front des retraites. L’âge pivot a été retiré (provisoirement ?), les annonces sur la rémunération des personnels de l’Education nationale ont commencé à être suivies d’effets. Il est maintenant temps de se poser la question : sur quels sujets faut-il se mobiliser aujourd’hui ?

Quels dossiers ?

La forte augmentation de la rémunération des personnels est un combat central. Pour les enseignants et les enseignants chercheurs en particulier, car le nouveau système de calcul des pensions ne leur est, à terme, pas du tout favorable. Le pari du SGEN de faire compenser ces pertes par une forte revalorisation est enclenché. Les dix milliards nécessaires sont sur la table. En tous cas sur le menu. Pour 2021, les 500 premiers millions sont actés. Cela ne peut-être cependant qu’un amuse-bouche. Il faut maintenant obtenir le reste, et beaucoup plus vite, car dès 2025 on peut évaluer entre 3 et 6 milliards les besoins d’augmentation de salaire pour ceux nés après 1975. La négociation est complexe car il faut que personne ne soit lésé dans la transition qui aura lieu pour les générations 1975 à 2004 et les mécanismes techniques doivent être testés pour envisager tous les effets. Le gouvernement a promis publiquement, et il sait qu’il doit faire cet effort s’il veut continuer à recruter suffisamment de professeurs : la perspective d’une carrière mal payée, avec des retraites qui deviendraient très en-dessous de la norme, ce n’est évidemment pas très attirant !

Le plus grand danger dans cette négociation aujourd’hui est la demande de contreparties par le ministre : augmentation du temps de travail, tâches supplémentaires ou autre chose, l’étendue des possibilités est vaste et l’on ne doute pas du sens créatif de notre ministre dans ce domaine. Ces contreparties seraient pourtant inacceptables. D’une part cette augmentation des rémunération est nécessaire au maintien de nos pensions,suite à un projet du gouvernement. Il n’y a donc aucune raison que tout à coup il devienne urgent d’augmenter notre temps de travail. D’autre part, il s’agit de retrouver un niveau de pouvoir d’achat qui s’est lentement érodé depuis 40 ans, à quelques rares moments près (comme le PPCR). Enfin, les personnels (et pas que les enseignants) croulent sous l’accumulation des tâches qui s’empilent depuis des décennies, sans en général faire l’objet d’indemnisation.

Si la manifestation du 5 décembre a été massive dans notre profession, c’est à cause de l’inquiétude sur les retraites, mais aussi parce que justement, il est urgent de remettre à plat nos conditions de travail. Notre ministre est dans le déni sur ce sujet. Il ignore ou nie les problèmes, même si ces derniers ne sont pas tous de sa responsabilité. Partout les CHSCT alertent sur les conditions de travail qui se dégradent, sur les conflits qui se multiplient, sur les arrêts de travail qui augmentent. Même si certains sont en première ligne, comme les directeurs d’école, chacun constate le nombre de plus en plus important de ses tâches. Et malheureusement la constatation inverse se fait sur la reconnaissance par l’institution : notre ministre par exemple préfère dénigrer les enseignants, en particulier quand ils montrent des signes de rébellion.

La réforme actuelle dans les lycées, avec le passage en ce moment des E3C et les suppressions massives de postes, est aussi un combat important à mener. Il faut réussir à obtenir la fin du principe même de ces E3C, forme bâtarde de contrôle continu et d’épreuve terminale anticipée. Les E3C doivent disparaître et s’intégrer dans le contrôle continu. Certains objectent que cela mettrait fin au caractère national du Bac. On peut leur répondre que le contrôle continu est déjà utilisé pour l’orientation des élèves en post-bac, et ce depuis bien avant Parcoursup. Pourquoi ce qui est considéré comme efficient pour évaluer les candidats à l’entrée en classes préparatoires ne le serait plus quand on se penche sur l’ensemble des élèves ? Il faut surtout que le ministre accepte d’écouter. Cette histoire est une caricature de la “méthode” Blanquer. L’ensemble des consignes est tombé du ministère, dans un mouvement du “haut” vers le “bas”. La très grande majorité des enseignants est opposée à cette réforme ; la hiérarchie intermédiaire (chefs d’établissements et inspecteurs) fait remonter les problèmes qui se posent et ses propres doutes. Pourtant, le ministre s’enferme dans sa tour d’ivoire et continue à chanter “tout va très bien, Madame la marquise …” devant les médias.

Avec qui discuter ?

Ces dossiers, et d’autres (par exemple la formation initiale des enseignants ou la loi de programmations du supérieur et de la Recherche) sont en discussion (sauf la réforme du lycée), et pourront nécessiter une mobilisation des personnels. Car nous avons en face de nous sans doute la plus mauvaise personne pour en discuter. Notre ministre a perdu l’essentiel de sa crédibilité. Méprisant et donneur de leçons vis à vis de notre profession, il ne bénéficie plus d’aucun crédit dans l’Education nationale. On peut même imaginer au vu de ses ambitions politiques personnelles, que le travail avec les autres membres du gouvernement ne se fait pas en toute sérénité. Ses sorties médiatiques ne font que mettre de l’huile sur le feu. Il est le principal obstacle au respect de la parole gouvernementale sur les augmentations de salaire des personnels par exemple.

Faut-il refuser pour autant toute négociation et laisser pourrir la situation ou laisser passer la possibilité d’une revalorisation massive ? Non,en tous cas ce n’est pas le choix de la CFDT. Que le ministre n’ait pas envie ne signifie pas qu’il ne fera pas. Arrivé en juin 2017 en voulant clairement revenir sur le PPCR, il a été obligé quand même de le mettre en place. Certes avec retard (un an), certes avec mauvaise foi (les fameux 300 euros d’augmentation qu’il revendiquait comme une victoire personnelle au début de cette année), mais la totalité du PPCR a été tout de même mise en application.

Quelles actions ?

Il ne faut cependant pas être naïf : sans doute auront nous besoin de montrer de nouveau la profondeur du malaise au sein de l’Education nationale. Si les promesses ne sont pas tenues, si des contreparties sont exigées, si la souffrance des personnels est niée, si le mépris fait office de reconnaissance, il sera de la responsabilité de l’ensemble des organisations syndicales d’appeler de nouveau à la mobilisation.Une mobilisation sur des objectifs clairs et atteignables, qui ne se résument pas à “obtenons la tête à Macron”. Une mobilisation en intersyndicale, qui s’adresse à tous les personnels pour être efficace.

Dans l’immédiat, c’est dans les lycées qu’il faut agir. Faire remonter les disfonctionnements, alerter les parents et les médias par des actions visibles. Il faut contredire le ministre qui, sans l’exprimer directement, veut faire croire que 99.9% des enseignants le soutiennent. C’est faux. S’ils dénoncent une réforme mal préparée, c’est justement parce que 100% des enseignants ont comme préoccupation principale la réussite et l’intérêt de leurs élèves. Et ils n’ont pas attendu Jean-Michel Blanquer pour cela.

possible