« Simplifier ». Si l’on croit le rapport rendu au gouvernement après des semaines de concertation avec les acteurs de la formation professionnelle (téléchargeable ici), le manque de dynamisme de l’apprentissage en France serait lié à sa « complexité » administrative et juridique. Un bon coup de peinture libéral et tout ira bien, les patrons embaucheront en masse : il s’agit du discours des organisations patronales depuis une éternité, qui était le même pour le code du travail. Le ministère de l’éducation a semblé être déconnecté de cette négociation alors qu’elle impactera très fortement les lycées professionnels et les CFA publics. Ils devront sans doute s’adapter à la volonté des autres acteurs (entreprises, régions) (ou mourir?).
Que peut-on retenir des « grandes lignes » évoquées dans ce rapport en attendant les arbitrages du gouvernement ?
Quels changements pour les équipes pédagogiques des LP et CFA?
Le rapport contient un élément rassurant pour notre profession : il demande en effet que l’orientation reste dans le giron de l’Éducation Nationale : elle devrait même être renforcée par la prise en compte de l’apprentissage. Nous devrions donc faire aussi la promotion… de nos concurrents privés. Plusieurs dispositifs sont mis en avant :
– Une journée obligatoire d’information sur les métiers, en 4e et 3e, avec une seconde journée en 3e permettant par exemple la visite d’un CFA et de discuter avec des apprentis.
– Un module de sensibilisation à l’apprentissage dans la formation initiale et continue des enseignants, inspecteurs et chefs d’établissement.
– La possibilité de « stages passerelles » d’élèves entre les LP et les CFA, comme il en existe déjà entre filières au sein de nos établissements.
– Un nouvel enseignement de transition vers l’activité professionnelle (ETAP – comme c’est bien trouvé !) dans les classes de 3e préparatoire à la voie professionnelle, de SEGPA, de bac pro et de CAP. L’idée serait de proposer aux entreprises des élèves qui ne seraient pas complètement inexpérimentés, maîtrisant les gestes de base et le savoir-être en entreprise dès le début de leur formation. Cet enseignement remplacerait apparemment en partie la PSE (prévention – santé -environnement), ce qui peut inquiéter car cela met en danger l’aspect citoyen de cette matière et sa mission de prévention et d’éducation très utile à un public souvent fragile : alimentation, sommeil, addictions, IST, contraception, gérer son budget, écoresponsabilité… Par ailleurs, cette nouvelle matière nécessiterait d’adapter le rythme de formation, car les cours seraient rassemblés en début de formation afin de préparer au plus vite l’élève à l’entreprise (et donc implicitement, un emploi du temps annualisé et modulable pour les professeurs).
Un changement préconisé impacterait particulièrement les équipes pédagogiques des classes en mixité ou en apprentissage : les apprentis pourraient s’inscrire à n’importe quel moment de l’année pour correspondre aux besoins des entreprises. Aux CFA et LP d’adapter leur pédagogie et les examens sous la forme obligatoire du CCF, et de « multiplier les jurys de délibération »… A ce titre, pour absorber ces flux (dont les conséquences chaotiques ne semblent pas gêner les auteurs), le rapport demande d’accentuer la mixité et aux LP de tenir leurs plateaux techniques à disposition des CFA, avec une mixité de publics plus complexe car il n’y aurait plus d’âge limite pour l’apprentissage !
Enfin, le rapport demande que les CFA démontrent leurs performances par une transparence sur les indicateurs de réussite. Ils pourraient être labellisés s’il respectent certains critères de qualité. Des indicateurs d’insertion professionnelle et de rémunérations moyennes à l’embauche devraient aussi être fournis aux familles par les branches.
Réorganisation de l’apprentissage : du cousu-main pour les entreprises, mais pour l’apprenti?
Si certaines propositions sont peu contestables, même bienvenues, d’autres sont franchement inquiétantes et témoignent du poids démesuré qu’a eu le patronat dans cette négociation :
– On l’a dit, un apprenti pourrait débuter et finir son contrat à n’importe quel moment de l’année scolaire, et il n’y aurait plus d’âge limite supérieur d’entrée dans la formation.
– Le contrat d’un apprenti n’aurait plus besoin d’être enregistré et serait juste contrôlé. Le rapport insiste aussi sur la simplification de la rupture de contrat pour faute grave ou inaptitude (ou démission, bien entendu volontaire, de l’apprenti), sans passer par le conseil de prud’hommes, après intervention d’un représentant du personnel ou d’un conseiller.
– Les apprentis mineurs pourraient faire plus de 8 h par jour ou plus de 35 h par semaine si un accord de branche l’y autorise (ceci vise pour l’instant le secteur du BTP).
– Les mineurs pourraient faire du travail de nuit jusqu’à minuit après modification du code du travail. Oui, vous avez bien lu. Ceci vise le secteur hôtellerie-restauration, où certes, il existe déjà des dérogations jusqu’à 23h30. Il est inutile d’expliquer le danger d’un tel précédent : une dérogation est une exception à la loi, une loi établit une règle générale.
– A noter que le rapport rejette la disparition des précautions obligatoires de sécurité concernant les jeunes apprentis comme le patronat l’exigeait. Les parents électeurs n’auraient sans doute pas apprécié de savoir qu’on n’hésitait pas à mettre leurs enfants en danger pour faire plaisir au MEDEF…
– Une journée obligatoire sur les droits de l’apprenti (enfin, s’il en reste) serait organisée par le CFA, ce qui paraît bien peu en face des changements annoncés.
– La rémunération de l’apprenti ne se baserait plus sur l’âge mais serait fixée en fonction du niveau de diplôme préparé (on attend les montants pour juger). Un accompagnement permettrait au jeune de trouver des solutions de transport et de logement, sous condition de ressources.
– En contrepartie, les aides financières aux entreprises seraient unifiées et renforcées, particulièrement pour les petites entreprises et les premiers niveaux de qualification.
– La fonction de maître d’apprentissage serait revalorisée par une indemnité et une certification qui nécessiterait une formation pour les nouveaux maîtres, avec une prime à l’issue.
– Les référentiels d’activités professionnelles seraient désormais mis au point uniquement par les branches professionnelles, et elles décideraient aussi des référentiels de compétences mais pour cette partie – en grands seigneurs – avec l’Éducation Nationale et les organismes certificateurs. Le contenu des diplômes serait réexaminé tous les 5 ans pour être au plus proche des besoins des entreprises. Apparemment, les autres matières semblent écartées de cette prise en main du contenu de l’enseignement par les branches.
– Néanmoins, le rapport prend en compte le besoin d’adaptabilité des apprentis aux changements techniques et à d’éventuelles évolutions d’orientation (on se souvient tout de même à un moment que l’apprenti existe en tant qu’individu) avec une formation centrée autour de socles rattachés à des familles de métiers, avec possibilité d’équivalences en cas de changement grâce à des blocs de compétences.
– Une agence de l’apprentissage conçue pour le promouvoir ferait la coordination des différents acteurs. Un machin dont les contours sont encore assez flous.
La question très sensible de la gestion de la taxe d’apprentissage ne semble pas avoir été tranchée tant elle a divisé le MEDEF et les autres acteurs, principalement les régions. C’est pourtant le nerf de la guerre : celui qui gérera le financement aura la main mise sur la carte des formations. On attend donc les conclusions du gouvernement pour connaitre l’ampleur des conséquences de ce rapport.
A la lecture de ce rapport, ce n’est pas le mot simplification qui nous vient pour l’instant à l’esprit, mais déséquilibre. La réorganisation devait se faire en fonction « des besoins des entreprises et des attentes des jeunes » : force est de constater qu’on satisfait avant tout les besoins des entreprises aux dépends des droits des apprentis, avec comme carotte une éventuelle hausse de rémunérations des apprentis et des aides. Le rapport en oublie qu’on parle aussi d’adolescents, sauf pour des problèmes pratiques, particulièrement quand il s’agit de déréguler le travail de nuit ou les horaires. La proposition scandaleuse de faire disparaître les règles de sécurité pour des jeunes à peine sortis de l’enfance démontre le peu de cas que les entreprises peuvent parfois faire de l’intérêt général par souci d’efficience. Les branches ne doivent surtout pas piloter l’apprentissage : c’est le rôle des pouvoirs publics et des élus, dans l’intérêt général. Le fait qu’elles décideraient seules des référentiels est déjà une nouvelle très inquiétante, ce qui, malgré les « socles » annoncés, risque de déboucher sur des formations trop spécifiques, gênant d’éventuelles reconversions.
Bien entendu, le but d’une formation en apprentissage est de donner un métier à un jeune, mais ce ne sont pas les seuls objectifs d’une politique éducative républicaine. Nous rappelons encore une fois avec force que le but de l’éducation est d’abord de faire d’un enfant un citoyen adulte éclairé, libre et responsable. Les menaces planant sur la PSE ne nous semble pas aller du tout dans ce sens. La formation des jeunes n’est pas qu’un enjeu économique : c’est aussi un enjeu de civilisation.