Alors que le ministre ne devrait plus tarder à présenter sa réforme de la voie professionnelle, il est important de faire un retour sur le rapport Calvez-Marcon qui devrait orienter ses décisions.

Quand un rapport croit devoir justifier dès son avant-propos la légitimité du recrutement de ses deux auteurs principaux, on peut s’inquiéter d’emblée. En effet, le monde de l’enseignement professionnel peut s’étonner qu’on ait confié cette tâche à une députée LREM qui n’est pas à notre connaissance une spécialiste de la question et à un chef cuisinier qui, certes, a expérimenté sans cesse l’apprentissage, mais ne peut apporter son expertise que sur celui-ci et son métier qui ne sont qu’une proportion minoritaire de l’offre de la voie professionnelle. Cela confirme (si besoin était) que l’apprentissage est la seule voie professionnelle qui intéresse vraiment le gouvernement. Il ne faudrait surtout pas confier cela à des enseignants ou des spécialistes de la pédagogie, on ne sait jamais : ils pourraient ne pas assez favoriser les entreprises, parler une langue bizarre et avoir de meilleures idées qui coûteraient de l’argent…

A la place, le rapport est donc truffé de petits encarts, intitulés avec une pointe d’humour désuet  « le grain de sel de Régis Marcon », encarts façon livre de cuisine qui font penser plutôt à l’avis du caviste dans un dépliant publicitaire de grande enseigne pour la foire du vin, bourrés de généralités, de bonnes intentions libérales et d’anecdotes de la « vraie vie » véritable du chef. Trop moderne. Ou pas.

Malheureusement, après lecture, nous cherchons encore un vrai questionnement sur le vécu pédagogique des enseignants en LP ou CFA (il n’y a même pas de statistiques les concernant dans l’infographie du constat de départ). Certes, il s’agit de faire réussir les élèves, mais comment y parvenir si on ne s’intéresse pas aux conditions de travail de ceux qui leur enseignent et sont en contact au quotidien avec eux ? En fait, nous, enseignants, n’existons pas pour LREM, à part pour… réformer notre formation (oui, encore ! tous les 5 ans, c’est une tradition). La dégradation de nos conditions de travail (déjà précaires dans certains endroits) n’est pas un souci pour les rédacteurs de ce rapport amateurs de mixité de publics, qui n’ont même pas procédé à une évaluation nationale sérieuse de ce système.

Un festival de lieux communs

Le rapport est rempli de constats que n’importe qui aurait pu relever, et qui, sans vraie solution, font penser à de l’enfonçage de porte ouverte, niveau ceinture noire de la discipline (par exemple sur les stéréotypes de genres dans les filières). Sans compter les contradictions : on se plaint du « maquis » des formations, et en même temps on veut approcher au mieux les besoins des entreprises, qui par définition, nécessitent une spécialisation plus poussée et des formations spécifiques.

Le pire exemple étant lorsqu’on préconise « d’instaurer un temps dédié au projet » collectif et de lier enseignement général et professionnel. Bien entendu, nous sommes favorables à de telles préconisations. Mais les auteurs ignorent-ils que nous avons déjà des heures hebdomadaires qui y sont dédiées dans nos emplois du temps (les EGLS depuis 2010 en bac et heures de projets en CAP) ? Ou qu’il existait des PPCP (projets pédagogiques à caractère pluridisciplinaire) à l’époque du bac pro en quatre ans ? Le travail en projet est déjà au cœur de notre pratique depuis très longtemps… ce que le rapport reconnait d’ailleurs ! Étrange passage qui nous préconise d’appliquer ce que nous faisons déjà…

Du coup, il vaut mieux s’intéresser à ce qu’apporte de nouveau ce rapport, car heureusement il y a aussi des idées inédites, malheureusement pas toujours pertinentes.

 

Les pistes évoquées par le rapport

Analyse du SGEN BN

 

Une arrivée massive de la mixité dans toutes les filières, apparemment mixité de publics (apprentis et élèves de filière classique au sein de la même classe), déguisée en mixité de parcours (une voie classique et une autre d’apprentissage séparées au sein du même établissement par exemple).
Les élèves ayant le choix en fin de Seconde entre s’orienter vers l’un ou l’autre système en Première et Terminale.

 

 

Si le SGEN est favorable à la mixité de parcours, il ne cautionne pas la mixité de publics dont de nombreux collègues se plaignent en raison de la complexité de son ingénierie pédagogique, surtout que le surplus de travail généré n’est pas rémunéré et qu’elle n’a jamais fait l’objet d’une évaluation nationale.

 

Une spécialisation progressive : la Seconde serait organisée par famille de métiers, donc plus généraliste et consacrée au choix de l’orientation.  La Première et la Terminale seraient organisées en spécialités avec de plus en plus de périodes en entreprise.
Cela signifie qu’on ne consacrera plus que deux ans et non trois à apprendre un métier spécifique à l’élève.

 

 

Si l’idée de spécialiser progressivement est
intéressante pour donner plus de choix dans l’orientation (surtout qu’elle est souvent subie en LP), la proposition ne va pas jusqu’au bout de la logique qui serait de mettre en place des secondes indifférenciées, mélangeant aussi les élèves technologique et général sans discrimination sociale, toujours présente ici.

 

Un affaiblissement inquiétant et peu
républicain des matières générales
: le parcours proposé provoque notre inquiétude par rapport au poids démesuré de la formation purement  professionnelle face aux matières générales, surtout
en fin de parcours. Le rapport montre d’ailleurs à plusieurs reprises une vision utilitaire de ces matières, pour acquérir des compétences liées à une attitude professionnelle en entreprise uniquement. La caricature de cette vision réside dans un « grain de sel » du chef Marcon réduisant la nécessité d’apprendre le français à la rédaction de menus en restauration…

 

 

Il ne faut pas oublier que le but de l’École de la République est surtout de former un citoyen éclairé et pas seulement un professionnel (même si un passage du rapport le rappelle pour la forme, c’est pour mieux le contredire à plusieurs reprises). Les matières générales ne doivent pas être négligées, surtout en fin de parcours quand l’élève est plus mature et peut mieux saisir les enjeux les plus complexes de l’étude du monde contemporain.

 

Des « PFMP à la carte » : cette préconisation est peu claire. On comprend que les conditions de PFMP (périodes, horaires…) pourraient être assouplies, non seulement au niveau des établissements mais aussi au niveau individuel. N’oublions pas que ce rapport se double d’une libéralisation du statut de l’apprenti qui donne la possibilité de prendre un contrat à n’importe quel moment de l’année. Voir ici

 

 

Une individualisation  des calendriers de PFMP est peu réalisable en pratique et serait un casse-tête pédagogique pour les enseignants. S’il faut améliorer le choix des parcours de formation au nom de l’orientation, il faut faire attention de ne pas tomber dans un pur individualisme consumériste qui rendra tout simplement impossible le travail des équipes pédagogiques.

 

La formation des professeurs et des personnels de direction contiendraient des stages en entreprise.

 

Il ne s’agit en rien d’une nouveauté en ce qui concerne les professeurs, et de nombreux collèguesse souviennent l’avoir fait en passant par l’IUFM. Il s’agirait juste d’un retour en arrière vers des bonnes pratiques qui avaient été supprimées par les gouvernements pour lesquels M. Blanquer travaillait… (Rappelons-nous de l’idée « géniale » du stagiaire envoyé sans formation préalable 18h devant élèves) Nous comprenons aisément l’intérêt d’une telle formation initiale et continue pour les collègues de matières professionnelles et les personnels de direction amenés à tisser des liens avec les entreprises. Cependant, ce type de formation pour les matières générales ne doit pas être l’expression d’une vision utilitariste et populiste qui consisterait à envoyer « les intellectuels aux champs ».

 

 

 

Stéphane HARDEL