L’affiche est alléchante pour le candidat recalé du CAP ou du Bac Pro : « tu as le droit de « repréparer » ton diplôme et tu peux garder tes notes supérieurs ou égales à 10″.  On ne voit pas a priori où est la nouveauté : il s’agit des conditions dans lesquelles un élève redoublant en lycée professionnel peut passer à nouveau son examen en juin… Mais le regard du jeune est attiré en premier lieu par une grosse bulle en rouge qui proclame « obtiens-le en décembre ». Ah, le bac et le CAP se passent en décembre désormais ?

Eh bien oui, avec le dispositif  de « repréparation Flash » mis en place depuis cette rentrée par le rectorat et la région Normandie, dans le cadre du projet « persévérance scolaire » avec le Fonds Social Européen. L’idée semble généreuse : il s’agit de permettre à des anciens élèves de bac pro ou de CAP sortis en juin sans diplôme, déscolarisés et qui ont éventuellement une solution d’emploi, d’avoir une formation de 3 mois permettant de repasser sous forme de CCF fin novembre les épreuves ratées du bac (ou du CAP), avec une validation par un jury en décembre. Celui qui réussit les épreuves a donc son diplôme validé par le rectorat, celui qui a suivi la formation mais qui rate son épreuve se voit remettre une attestation des acquis validée par le GRETA. Ces candidats refoulés doivent uniquement repasser les matières générales en partie ou totalement (ils doivent avoir eu la moyenne en professionnel et entre 8 et 10 en matières générales) – ce qui n’est pas clair sur l’affiche (on a l’impression qu’on peut tout repasser). Ces élèves étant sur le marché du travail, le GRETA pilote le projet au nom de la formation continue.

Le premier problème est la mise en place du dispositif, faite de toute évidence à la va-comme-je-te-pousse avec des retards d’allumage : l’information a circulé tardivement, et le GRETA pris de cours cherche actuellement des formateurs parmi les professeurs PLP pour mettre en place un dispositif qui aurait dû commencer à partir du 18 septembre… mais qui ne commencera du coup qu’en octobre. Apparemment, la fin de la préparation aurait été du coup repoussée à décembre, avec un jury en janvier (« obtiens-le en janvier » ?). Les PLP qui rechignent à l’idée de prendre des heures supplémentaires se voient aussi proposer d’accueillir ces élèves dans leurs classes de Terminales sur la période en question (ces jeunes ne verront donc qu’une petite partie du programme, et passeront forcément leur CCF dessus, ce qui contredit tout de même l’esprit de certaines épreuves).

Le deuxième problème vient justement du passage en CCF du baccalauréat : plusieurs matières sont normalement en épreuve ponctuelle, en particulier le français et l’histoire-géographie. Il n’existe à notre connaissance aucune modalité précise encadrant ces CCF fantômes (prévus dans les textes mais jamais mis en place) :  des consignes seront donc données bientôt, à la hâte, le document du rectorat mettant en avant que les élèves du GRETA peuvent prétendre à une passation complète de cette manière… Cependant, beaucoup de collègues font remarquer que le passage en CCF d’une épreuve habituellement ponctuelle remet en cause l’égalité de tous devant l’examen.

Le dernier problème est évidemment éthique et a été soulevé par la quasi-totalité des professeurs à qui l’on a proposé d’animer la formation : doit-on mettre en place un « second » rattrapage du baccalauréat pour une poignée de candidats alors qu’on leur a déjà donné clairement une deuxième chance de réussir à peine quelques semaines avant ? Rappelons que les jurys d’examen rattrapent déjà un nombre non négligeable de dossiers proches de la moyenne, et qu’au bac pro, le rattrapage en juillet (l’épreuve orale de contrôle) se fait dans des conditions bienveillantes équivalentes à ce dispositif (dans les matières générales, en français-histoire-géo et en maths-sciences, si le candidat a entre 8 et 10 de moyenne). Si vouloir sauver des jeunes en difficulté est un objectif louable qui ne doit être ni condamné ni pris à la légère, on en arrive néanmoins à la question fondamentale : trois mois suffisent-il pour mettre à niveau des candidats qui ont montré d’importantes lacunes dans certaines matières ? Est-il judicieux de réintroduire en classe certains jeunes qui ont des difficultés avec le parcours scolaire traditionnel ? Ne va-t-on pas les désespérer un peu plus s’ils échouent ? N’aurait-il pas été plus pertinent de leur proposer autre chose d’un point de vue pédagogique ? Et cela suscite d’autres questionnements : que ressentiront nos élèves redoublants qui tentent à nouveau leur chance dans un parcours habituel jusqu’en juin et quel sera l’impact d’un tel dispositif sur leur motivation ? Pourquoi seulement le bac pro, et non le bac général ou technologique pour d’autres élèves déscolarisés avec une solution d’emploi ? Des questions importantes sur lesquelles il aurait été intéressant de débattre, mais mises de côté par les créateurs du dispositif dans leur hâte de le promouvoir.

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