Le ministre de l’éducation a enfin dévoilé sa vision de l’évolution de l’enseignement professionnel.  Elle suit de très près les recommandations du rapport Calvez-Marcon que nous avions passées au crible ici. Notre analyse reste donc globalement la même et nos principales critiques et inquiétudes sortent renforcées par ces annonces.

Une orientation toujours cloisonnée

Même si l’idée de campus d’excellence (trois par académie) est globalement pertinente et peut renforcer l’attractivité des filières concernées, nous pensons à la majorité des élèves de lycée professionnel qui, ne soyons pas naïfs, seront toujours orientés « à la louche » en fin de troisième, surtout quand ils sont en difficulté.

Si le SGEN demande un lycée polyvalent et modulaire, c’est pour donner réellement à chaque jeune le choix de sa formation. Avec la réforme Blanquer, peu d’avancées : les élèves entrant en Seconde professionnelle seront toujours cloisonnés par rapport au général et au technologique, la seule différence résidant dans le fait qu’ils accèderont en Seconde à une « famille de métiers » avant de sélectionner un métier précis pour la Première.

Nous aurions pu avoir un point de vue positif puisque cette idée améliore tout de même le choix d’orientation, mais il est très difficile de s’en satisfaire quand il s’agit aussi d’une façon détournée de se débarrasser de certaines filières vues comme problématiques par le ministère, à savoir actuellement Gestion-Administration : le ministère souhaite une diminution radicale de son offre et la reconversion des enseignants de GA. Une filière qui était justement née de la fusion de deux autres (secrétariat et comptabilité), et qui va être encore rapprochée d’autres métiers. Il faut dire qu’au contraire d’autres domaines, elle n’est l’apanage d’aucune branche patronale particulière… Rappelons aussi qu’à l’occasion de ce premier rapprochement, il y avait eu un véritable massacre de postes enseignants.

Par ailleurs, si l’augmentation des places en BTS réservées aux lycéens issus du professionnel nous satisfait, nous craignons de voir se fermer de fait l’accès à l’Université pour les meilleurs élèves, étant donné la baisse drastique du volume d’enseignements généraux disciplinaire dans les nouvelles grilles horaires prévues.

Enfin, l’insertion d’Unités de Formation en Apprentissage au sein de tous les lycées nous inquiète également, puisqu’il n’est pas clair si elle se fera sous forme de diversité de parcours réellement ou sous forme de diversité de statuts voire de publics, en mélangeant au sein des mêmes classes apprentis, élèves « classiques » et peut-être même adultes du GRETA, formule qui ne fonctionne pas et enraye la réussite de tous en plus d’être un casse-tête pédagogique pour les enseignants.

Des matières générales en voie d’extinction

L’axe le plus inquiétant est la baisse importante du volume horaire annuel en CAP et Bac Pro. Il est vrai que les horaires élèves sont souvent très lourds, pour des jeunes qui n’apprécient pas forcément outre mesure l’école. Mais alors que le nombre de PFMP n’augmente même pas, le volume des heures consacrées à l’enseignement disciplinaire général est réduit comme peau de chagrin : cette évolution n’était pas nécessaire, elle n’était une demande de personne et va encore plus cloisonner les élèves de lycée professionnel dans leur domaine… alors que la réforme ose afficher comme objectif « une culture générale solide » !

Si l’annonce d’enseignements en co-animation avec les collègues de professionnel est très intéressante pour améliorer par exemple les compétences transversales des élèves, ils apparaissent au détriment des heures de maths-sciences et de lettres-histoire, alors qu’ils auraient pu être concrétisés simplement en plaçant les collègues sur des créneaux communs… mais il aurait fallu déployer des moyens supplémentaires en heures prof ! De même, on pourrait se satisfaire de l’ampleur des dispositifs d’accompagnement prévus, surtout en CAP, s’il ne se mettaient pas aussi en place aux dépends des apprentissages disciplinaires de matières générales.

Or, on ne peut pas se contenter d’un vernis culturel pour les élèves du professionnel, comme si la culture commune ne comptait pas pour ces citoyens, apparemment de seconde zone du point de vue de certains ! Comme nous le redoutions, cette réforme transmet donc clairement une vision utilitaire de la culture, et non citoyenne et républicaine, dans son obsession de s’adapter aux demandes des entreprises.

Par ailleurs, comment le ministère ose-t-il prétendre qu’il n’y aura pas d’impacts sur les postes quand les volumes horaires de nombreuses matières s’effondrent, voire disparaissent ? La Prévention-Santé-Environnement, matière très importante pour de nombreux jeunes en situation sociale fragile, n’existe même plus en tant que telle ! De même pour l’économie-gestion !

Nous vous laissons juges : dans les tableaux qui suivent, vous pourrez comparer les volumes horaires actuels et ceux prévus à partir de la rentrée 2019. Sans dédoublements importants (ce qui nous semble pour l’instant une hypothèse peu crédible), il risque d’y avoir une véritable saignée en terme de postes dans les années de mise en place de la réforme, y compris dans le domaine professionnel.

Baccalauréat professionnel

Volume horaire actuel pour 3 ans (arrêté du 12 juin 2015)

Volume horaire après la réforme

Différence

Spécialités comprenant un enseignement de sciences

Spécialités comprenant un enseignement de LV2

Enseignements professionnels

1152 + 84 (éco-gestion) + 84 (PSE) = 1320

 

1260

– 60 h

(- 4,5%)

1152 + 84 (PSE) = 1236

+ 24 h

(+ 1,9 %)

Lettres-histoire + EMC

338 + 42 = 380

267 + 71 (co-intervention) = 338

– 42 h

(- 11 %)

Maths-sciences

349

140 + 57 (co-intervention) + 97 (sciences) = 294

– 55 h

(- 15,8 %)

181

140 + 57 (co-intervention) = 197

+ 16 h

(+ 8,8 %)

Langues

181

168

– 13 h

(- 7,2 %)

349

168 + 97 (LV2) = 265

– 84 h

(- 24 %)

Arts appliqués

84

84

néant

EPS

224

210

– 14 h

(- 6,3 %)

EGLS

152

Disparaît au profit de la co-intervention, mais ces heures ne sont pas compensées.

– 100 %

AP

210

294

+ 84 h (+ 40 %)

TOTAL

2900

2648 (profs) / 2520 (élèves)

– 252 h profs

(- 8,7 %) /

– 380 h

(-13,1 %)

2816

– 168 h profs

(- 6 %) /

– 296 h

(- 5,9 %)

 

CAP

Volume horaire actuel pour 2 ans (12 à 16 semaines de PFMP)

Volume horaire après la réforme

Différence

Enseignements professionnels

 901 à 1026 + 65,5 à 70,5 (PSE) = 966,5 à 1096,5

1045

 -51,5 (- 4,7 %)

à + 78,5 (+ 8 %)

Lettres-histoire + EMC

220 à 228

82,5 + 27,5 (EMC) + 82, 5 (co-intervention) = 192,5

– 27,5 (- 12,5 %)

à – 35,5 (- 15,6 %)

Maths-sciences

192,5 à 199,5

82,5 +82,5 (co-intervention) = 165

– 27,5 (- 14,2 %)

à – 34,5 (- 17,3 %)

Langue

110 à 118,5

82,5

– 27,5 (- 25 %)

 à – 36 (- 30,4 %)

Arts appliqués

100,5 à 106

55

– 45,5 (- 45,3%)

à – 51 (- 48,1 %)

EPS

132,5 à 142,5

137

– 5, 5 (-3,8 %)

à + 4,5 (+ 3,4 %)

Aide Individualisée

28 à 30

192

+ 162 (+ 540 %)

à + 164 (+ 585,7 %)

TOTAL

1777 à 1921 (avec AI et sans compter les enseignements facultatifs)

1869 (profs) / 1704 (élèves)

– 52 (-2,7 %)

à + 92 (+ 5,2 %) /

– 73 (- 4,1 %) 

à – 217 (- 11,3 %)

 

En conclusion, cette réforme risque d’aggraver les tendances qu’elle aurait dû corriger, en renforçant la ségrégation sociale scolaire existant entre lycée général et technologique et voie professionnelle. Soit exactement l’inverse de ce que le SGEN-CFDT réclame depuis des années. En ce sens, il s’agit encore d’une réforme idéologique dont nous ne pouvons donc pas approuver les orientations. Le lycée professionnel formera en effet d’un côté des élèves qui n’auront comme objectif que de rentrer directement sur le marché du travail, principalement par l’apprentissage, main d’œuvre à bas marché attirée par la perspective d’une rémunération rapide, mais avec un bagage culturel très affaibli et une forte spécialisation professionnelle qui compliquera leur évolution de carrière (que ce soit en terme de promotion sociale ou de changement de carrière). De l’autre, il formera des élèves ayant comme objectif des BTS, encore plus en difficulté qu’avant en matières générales par rapport aux élèves des filières générales et technologiques, d’où la nécessité de créer enfin des « classes passerelles » avant le BTS, dont la mise en place dans le contexte de cette réforme est hautement critiquable vu qu’elles font office de cache-misère.

Puisque cette réforme n’est pas vraiment faite pour améliorer la vie professionnelle future de ces élèves et encore moins pour en faire des citoyens éclairés, puisque qu’elle va être dévastatrice en terme de postes d’enseignants : qui est-elle censée satisfaire ?

Stéphane HARDEL