Le début d’un article de la revue Challenges le 7 mai dernier donne le ton : “Les "gilets jaunes" ont obtenu davantage en quelques mois que les syndicats en des années. Les "stylos rouges", un collectif de profs en colère formé en décembre dernier est en train de réussir le même tour de force.” Exactement ce que le ministre J.-M. Blanquer voulait faire passer comme message !

Que ce soit par une culture politique marquée à droite ou que, comme ministre, il suit une ligne politique définie par un président qui cherche à supprimer les corps intermédiaires, il s’agit dans les deux cas de réduire l’influence des syndicats, en particulier dans l’Education nationale, là où ils restent les plus forts. Chacun a droit de penser ce qu’il veut dans ce domaine, cependant l’épisode qui vient de se dérouler relève de l’escroquerie intellectuelle. Quelques éléments de contexte.

La sous-rémunération des enseignants, et de la fonction publique en général, est un sujet depuis longtemps évoqué par les responsables politiques, de droite comme de gauche. Les comparaisons internationales en montrent abondamment la réalité. L’ensemble des syndicats le dénonce régulièrement. Si la gauche propose d’augmenter la rémunération (c’est le cas dernièrement avec les différentes mesures liées au PPCR et l’augmentation du point d’indice), la droite propose en général de travailler plus (gel du point d’indice, plus de HSA, ou même augmenter le temps de présence des enseignants devant les élèves).

Le PPCR a déjà permis d’améliorer les choses, grâce à l’engagement de plusieurs syndicats, mais la question se pose avec de plus en plus d’acuité alors que le dossier des retraites approche.

Le mode de calcul des pensions de retraite des fonctionnaires (plus favorable que le calcul du privé) est traditionnellement un moyen pour l’Etat de compenser le faible salaire qu’il donne aux fonctionnaires tout au long de leur carrière (avec aussi l’attribution de primes). Ainsi, les pensions du privé et du public sont comparables à niveau de qualification équivalent.  Le nouveau système, qui propose d’aligner les modes de calcul des retraites du privé et du public, risque d’être défavorable aux enseignants. En effet, le nouveau mode de calcul étant à priori moins favorable aux fonctionnaires, le gouvernement devrait compenser le manque à gagner par une prise en compte des primes, histoire d’arriver à une pension de retraite équivalente au système actuel. Malheureusement, contrairement à d’autres personnels du public, nous n’avons pas beaucoup de primes en tant qu’enseignant et il va falloir trouver d’autres solutions. La principale est d’augmenter la rémunération des enseignants, pour la mettre au niveau du secteur privé.

Ces calculs, très complexes, mobilisent les discussions entre les ministères, en particulier celui de l’Education nationale, et les organisations syndicales. Les sommes sont très importantes, de l’ordre d’une dizaine de milliards rien que pour l’Education nationale. Les arbitrages seront réalisés à la fois par Bercy et par le Premier ministre, voire par le président de la République. Ce dernier en effet a promis beaucoup de choses dans son discours pour répondre aux “gilets jaunes”, et cela risque de peser.

Les organisations syndicales font leur travail. Elles ont l’expertise technique et la connaissance du terrain qui leur permet de maîtriser les très nombreux paramètres. Elles savent aussi ce qui peut être accepté et ce qui amènera au conflit. Ce travail n’est pas mené sur la place publique, même s’il n’est pas secret car il est très technique et de nombreuses hypothèses de travail sont par la suite rejetées après échanges. C’est le fonctionnement normal du dialogue social. La confiance entre les syndicats et les services du ministère est essentielle et ces derniers ont demandé explicitement à ce que la teneur des discussions ne soient pas présentée aux médias pour l’instant.

Que fait pourtant le ministre ? Il utilise les “stylos rouges” pour annoncer le principe d’une revalorisation de la rémunération des enseignants. Revalorisation déjà acquise dans son principe grâce au travail des organisations syndicales. Il n’en fixe pas le détail, car il n’en sait effectivement rien : cela se jouera dans les discussions avec Bercy, et les arguments techniques avancés par les syndicats comme le rapport de force induit par les différentes mobilisations joueront un rôle essentiel.

Les syndicats font le travail qui est attendu d’eux, ils respectent leur engagement de ne pas s’étaler devant les médias et in fine, le ministre essaye de faire croire que ces mêmes syndicats ne servent à rien et qu’une mobilisation des “vrais gens” obtient une augmentation en quelques mois. On est bien dans la malhonnêteté intellectuelle !

Les “stylos rouges” n’y sont évidemment pour rien dans cette tentative de manipulation ministérielle. Ils ont clairement indiqué qu’ils ne voulaient pas court-circuiter les syndicats. Cela, le ministre préfère ne pas l’entendre : cela ne rentre pas dans son plan com’.