Ceux qui suivent un peu l’actualité locale dans l’Education nationale ont en général entendu parler du feuilleton de la fusion des académies de Caen et de Rouen. Beaucoup se demandent pourquoi ces satanés syndicats s’y opposent : est-ce donc encore leur incapacité à accepter tout changement, même quand celui-ci semble aller dans le bon sens ?

Ceux qui sont capables de différencier les positions des diverses organisations syndicales savent que ce n’est pas en général ce que l’on peut reprocher au SGEN-CFDT. Alors pourquoi donc la totalité des syndicats normands (et leurs fédérations) s’opposent à ce qui est train de se passer à Caen et à Rouen ?

Un petit rappel des deux saisons précédentes.

En septembre 2017, c’est la “fusion des recteurs” : profitant de la vacance du poste de recteur à Rouen, celui de Caen est nommé sur les deux académies. On nous annonce une “expérimentation” dont en fait la conclusion semble déjà écrite. Des “convergences” entre les services des deux académies sont mises en place.

Saison 2 : en juillet 2018, le premier ministre annonce que cette “expérimentation” sera généralisée partout en France : les nouvelles régions auront toutes une seule académie. Deux ou trois rectorats vont donc devoir y fusionner, selon les situations.

Saison 3 (en cours) : coup de théâtre, le ministre de l’Education nationale annonce en catimini l’abandon des fusions d’académies (en fait, “cela a peu d’intérêt”). Puis précise qu’elle continuera en Normandie. Depuis, les personnels des deux rectorats se mobilisent fortement contre le processus, alors que le recteur accélère le mouvement à marche forcée.

 

Une absence de progrès

Qu’est-ce qu’une fusion des académies apporterait au public ? Aux personnels ? Quel plus attend-on d’un tel bouleversement ?

La réponse est assez vague quand on écoute le ministre ou le recteur. « Un seul recteur a plus de poids face au président de région » : cet argument tombe de lui-même avec l’abandon des fusions dans les autres régions. « Une académie plus grande attirera plus facilement des personnels très qualifiés » : est-ce vraiment une priorité ? Surtout en regard des milliers de personnels et d’usagers qui devront perdre du temps dans des déplacements supplémentaires ? Un projet pédagogique régional est évoqué, mais rien n’est finalisé pour l’instant ; l’expérience montre aussi que pour réussir, un tel projet devra emporter l’adhésion des personnels : et cela ne se décrète pas d’en haut.

On a même entendu l’argument d’une forme de “particularisme” normand qui justifierait une seule académie. Argument vite retiré heureusement.

La succession (puis l’abandon) dans le temps de ces arguments montre en fait que le projet qui devrait sous-tendre une telle fusion n’est envisagé qu’après la décision. Il s’agit de justifier à posteriori quelque chose déjà arrêté. Vu de Paris, une carte de France avec une région = une académie paraît intellectuellement plus cohérent. C’est pourtant ignorer la réalité des faits.

 

De grosses difficultés à venir

En effet, le recteur se trouve face à une équation impossible à tenir. Il n’est évidemment pas question de regrouper tout de suite tous les services sur Caen. On manquerait de place et 400 personnes devraient brutalement changer de lieu de travail. C’est donc un rectorat bi-site qui est envisagé. Avec un maintien du nombre d’emplois actuels sur chacun des sites. Les services seront donc ensuite répartis entre Caen et Rouen pour respecter cet équilibre. On découvre là les premières incohérences. Ainsi la gestion des moyens de l’enseignement privé se situera sur un rectorat, mais la gestion des personnels du privé sur un autre. Certains enseignants du public seront gérés à Caen (titulaires), d’autres à Rouen (contractuels). Certains, comme les TZR, seront même gérés sur les deux sites ! Les problèmes informatiques paraissent ingérables : l’histoire fait que différents logiciels sont utilisés à Caen et à Rouen ; même les annuaires académiques ne regroupent pas les mêmes informations. Il faut tout reprendre si l’on veut harmoniser : un travail de plusieurs années, qui coûtera (très) cher. D’autant plus cher que seule la Normandie aura à le faire, et il est fort peu probable que le ministère apporte une aide dans ce domaine (qui était prévue quand toutes les régions étaient concernées, ce qui n’est plus le cas). Les responsables des services passant beaucoup de temps sur la route vont être moins disponibles, les décisions seront retardées. Un problème qui était réglé en quelques minutes en discutant dans un bureau devra passer par les mails ou par le téléphone : chacun sait que cela peut rallonger le processus de plusieurs jours …

Les personnels du rectorat vont devoir changer de métier. Certes, aucune suppression de postes n’est annoncée, l’engagement est même inverse de la part du recteur et du ministre (contrairement à ce que diffusent certains syndicats mal informés), mais beaucoup devront changer de poste. c’est comme si on demandait massivement à des enseignants de changer de discipline. La désorganisation risque de durer plusieurs années.

Enfin, les déplacements pour l’ensemble des collègues vont s’allonger. Les lieux de formation seront régulièrement plus éloignés. Gérer un problème de carrière pourra nécessiter de se déplacer à Rouen, puis à Caen. Même si beaucoup de choses se déroulent aujourd’hui de façon dématérialisée, il est encore souvent nécessaire de se déplacer.

 

Une “concertation” en trompe-l’oeil

Nous avons plutôt fait confiance au début au recteur sur ce dossier. Force a été de constater au bout de quelques mois que le recteur, soit mangeait son chapeau au fur et à mesure des décisions du ministre, soit nous menait en bateau. L’expérimentation où tout était possible est devenue de plus en plus encadrée par Paris, la concertation est devenue une information sur des décisions déjà prises. La CFDT a pour tradition de ne pas rejeter à priori, et de chercher ensuite à négocier même si tout ne plait pas d’emblée. C’est ce que nous avons d’abord fait, mais à partir du printemps dernier, il n’y avait plus rien à négocier : on nous a fait comprendre que le recteur (ou le ministre) prenait les décisions, que le calendrier était établi, et que les syndicats étaient priés de discuter des détails. Nous avons donc clairement exprimé notre opposition à un processus qui n’était ni une expérimentation, ni une transition négociée.

La CFDT est avant tout un syndicat qui s’intéresse aux conditions de travail. Et clairement, le coût sera élevé : de nombreux personnels vont devoir changer de fonction contre leur gré. Et sans qu’on leur ai demandé leur avis sur l’intérêt de la chose : c’est bafouer la dignité de tout salarié qui considère qu’il a son mot à dire sur son travail, qu’il est quand même le mieux placé, le plus expert, pour en parler. Même quand on est catégorie C, même quand on n’a pas fait autant d’études que d’autres, même quand on n’est pas tout en haut de la pyramide hiérarchique.

 

Les collègues du rectorat se mobilisent massivement depuis plusieurs semaines. Ils le font pour leurs conditions de travail mais aussi pour l’efficacité du service public. Tous les personnels des deux académies seront impactés par une éventuelle fusion.