Une grève est prévue demain 17 septembre dans les collèges, à l’appel d’une large intersyndicale à laquelle ne s’est pas associée le SGEN-CFDT.
Annoncée tardivement, elle a été peu relayée dans les établissements, jusqu’au début de cette semaine.
Un tract intersyndical sans doute, car associé à l’appel mais sans référence à une ou des organisations syndicales, a été diffusé.
Une occasion de faire quelques commentaires rapides sur les arguments qui y sont exposés.
Les énoncés du tract | Le commentaire que l’on peut en faire |
La réforme c’est toujours non | Voir la conclusion |
A la suppression des bilangues | La suppression des bilangues n’est pas un élément fondamental de cette réforme du collège même si elle a un moment pris une grande partie de l’espace médiatique. Le ministère a justifié cette décision par plusieurs arguments. – D’abord le principe des bilangues (commencer une seconde langue plus tôt) est repris pour l’ensemble des élèves du collège à travers l’avancement en cinquième de l’enseignement d’une seconde langue ; continuer un système en sixième pour une seule année, devient difficile à justifier. – Ensuite la suppression des bilangues (pour une partie des élèves) finance en partie les heures maintenant consacrées à la seconde langue en cinquième (pour tous les élèves). Le problème de la suppression des bilangues est en fait surtout un problème pour les personnels enseignant l’allemand. Ces postes en collège sont très souvent sur deux ou trois établissements et la création des bilangues avait parfois permis d’envisager un poste sur un seul établissement. De plus, ces collègues sont souvent obligés de beaucoup s’investir pour enrayer une attraction majoritaire des élèves vers d’autres secondes langues. Ils vivent donc légitimement la suppression des bilangues comme une non-reconnaissance de leur engagement. |
A l’augmentation du nombre d’élèves par professeur. | Difficile de comprendre à quoi cet argument fait référence. Le nombre d’élèves par classe ne va pas augmenter. Le nombre d’heures par discipline ne va pas baisser. Chaque enseignant aura donc le même nombre de classes et donc d’élèves qu’avant. Certes, avec les EPI, un enseignant est susceptible de croiser des élèves qu’il n’a pas en classe classique, mais en dehors de devoir se souvenir de quelques noms supplémentaires, il n’y a pas moins d’enseignants face aux élèves. |
Au financement de la LV2 en 5ème par l’abaissement de l’horaire en 4ème-3ème | Les horaires de LV2 passent effectivement de 3h en 4ème et 3ème à 2h30 en 5ème, 4ème et 3ème. Si l’horaire global passe de 6h à 7h30, il est un peu plus dilué sur la semaine. C’est le principe qui avait prévalu lors de la création des classes bilangues (4h de LV1 qui passent à 3h de LV1 et 3h de LV2), principe qui alors n’avait pas suscité de discussions. |
A l’amputation de l’horaire disciplinaire pour financer l’AP et les EPI | L’AP et les EPI sont une partie fondamentale de la réforme. Ils sont une manière d’enseigner autrement qui peut permettre de démocratiser réellement la réussite scolaire. On ne peut évidemment pas rajouter du temps (3 à 4h par semaine) aux élèves qui ont déjà un emploi du temps surchargé. On ne peut évidemment pas aussi travailler sur les EPI et l’AP « dans le vide », c’est-à-dire sans un enseignement qui s’appuie sur les disciplines. Il ne s’agit donc pas d’amputer l’enseignement disciplinaire, mais simplement de l’utiliser autrement. |
A la diminution des horaires en 3ème : -0,5 en Français, en Physiques, en Techno et en Maths. | Si certaines disciplines perdent des heures dans la proposition de grille horaire en 3ème (rappelons que cette grille peut être modulée à l’intérieur du cycle 4, donc entre la 5ème, 4ème et 3ème), elles les récupèrent sur le niveau 6ème. Globalement donc il n’y a pas de changement. On peut certes discuter de la pertinence d’une demi-heure de plus en sixième plutôt qu’en troisième, mais chacun à son avis sur le sujet. |
A la suppression des sections européennes | Comme pour les classes bilangues, ce n’est pas un élément essentiel de la réforme. Comme pour les classes bilangues, le fait que le principe des classes européennes (travailler plus sur une langue) puisse être récupéré par les EPI rend moins évidente la justification de leur maintien. Et les heures récupérées sont utilisées pour financer les autres éléments de la réforme, en particulier la seconde langue pour tous en cinquième. |
A la fragilisation et à la réduction des horaires pour les langues anciennes | Là aussi, le latin (pour l’essentiel) a largement occupé le débat sur la réforme du collège, alors qu’il n’en est pas un élément central. Les langues anciennes sont actuellement proposées en plus des horaires obligatoires, ce qui rebute de nombreux élèves. L’intégration dans les EPI (même si une possibilité restera d’horaires supplémentaires mais réduits) peut aussi bien fragiliser cet enseignement que lui redonner un intérêt auprès d’un public d’élèves élargi. |
A la mise en place d’un enseignement de type EIST en 6ème | Il y a des inquiétudes sur un enseignement SVT-Techno-Physiques commun en 6ème. Les collègues de chacune de ces disciplines pourront-ils enseigner dans une autre de ces disciplines ? Un horaire commun est donné, mais le programme reste disciplinaire. C’est le choix explicite des équipes qui peut faire basculer vers un enseignement intégré des sciences et de la technologie pour cette classe. |
A la bureaucratie pédagogique à la main des chefs d’établissement ! – Globalisation des horaires sur l’ensemble du cycle 4 (5ème à 3ème) – Conseil pédagogique consulté sur « la préparation de l’organisation de l’enseignement », le CA déciderait des contenus d’enseignement. |
Un autre élément fondamental de cette réforme est une autonomie donnée aux équipes, ce que soutien le SGEN-CFDT. Contrairement à ce qui est affirmé, ce n’est pas une autonomie du chef d’établissement seul et encore moins du CA (derrière lequel point la peur de l’intervention des parents). C’est bien sur les discussions au sein des équipes que repose la construction sur la répartition des horaires à l’intérieur du cycle 4, à travers le Conseil pédagogique. La « globalisation » des horaires est en fait une modulation possible décidée par les équipes, avec un cadrage prévu pour éviter les dérives qui rend difficile à comprendre la peur suscitée. Le détail est ici. Les contenus d’enseignement sont précisés par les programmes nationaux. Il peut y avoir une politique particulière d’un établissement, à l’intérieur de ces programmes, qui se traduit par un projet d’établissement par exemple, ce qui n’est pas nouveau. Il y aura aussi évidemment nécessité de choisir les parties du programmes qui seront plus particulièrement développées, le niveau pour lequel elles seront travaillées à l’intérieur du cycle 4, ce qui sera traité dans les EPI. C’est un simple élargissement de ce qui se fait déjà dans les équipes disciplinaires ou en interdisciplinaire. La révolution n’est pas ici. Pas question que le Conseil pédagogique (ni le CA) décide de la façon dont il faut faire cours, ni que des collègues donnent des ordres à d’autres ! |
A la fragilisation des disciplines ! – Réduction des horaires strictement disciplinaires au profit de l’AP et des EPI. – Mise en concurrence des disciplines et des collègues. – Suppression des options (langues anciennes, régionales, classes européennes) |
Seul l’argument sur la concurrence des disciplines et des collègues est nouveau (pour les autres, voir plus haut). Cette concurrence pourrait s’exercer dans le choix des disciplines qui participent aux EPI et à l’AP. Ceux-ci sont obligatoires mais n’ont pas d’horaire dédié, ce qui nécessite que des disciplines soient volontaires ou que toutes les disciplines participent, ce qui est l’objectif. Ce dernier cas est envisageable en particulier si les EPI sont annualisés, sur des semaines dédiées au cours de l’année. |
A une charge de travail supplémentaire ! – Interdisciplinarité imposée et mise en place sans possibilité de concertation intégrée dans les services. – Multiplication des réunions (Conseil école/collège, Conseil pédagogique, Conseils de cycles, etc.) – Ensemble du projet mis en place à la rentrée 2016 : nouveaux programmes sur 4 niveaux en même temps, nouvelle organisation exigeant de la concertation (EPI, AP), nouvelle organisation des SEGPA. |
Cet argument est effectivement une préoccupation. A la fois pour cette année de préparation, pour l’année prochaine qui sera celle de la mise en place, puis pour les suivantes qui nécessiteront des réunions si on veut effectivement que les équipes soient maîtresses de l’organisation des enseignements. Cela demande du temps de présence qui doit faire partie du service et donc être payée soit en décharge soit en heures supplémentaires. Pour l’instant, le ministère refuse d’entrer dans cette discussion. Un gros problème, car cela risque de torpiller toute l’économie de la réforme qui ne s’appuiera (et épuisera) que sur les bonnes volontés.Changer tous les programmes va être une difficulté supplémentaire. Certes, ils ne sont pas totalement chamboulés, et beaucoup d’éléments restent comme précédemment. C’est surtout la cohérence d’ensemble qui évolue et la nécessité de définir par niveau les parties des programmes travaillées quand ces derniers sont présentés par cycle. D’un autre côté, comme on le voit avec les nouveaux programmes d’EMC dont l’application a été avancée d’un an, il est difficile de jongler entre nouveaux textes et anciennes structures en même temps. |
Mais pour un collège structuré par les disciplines scolaires | Le collège doit d’abord se structurer sur les besoins des élèves, définis par le Socle commun. L’enseignement par discipline est essentiel car celle-ci définit la professionnalité des enseignants. Cependant l’objectif du collège n’est pas la perpétuation d’une discipline, mais la formation du futur citoyen. |
Des programmes cohérents avec des repères annuels forts définis nationalement | C’est bien ce qui existera toujours, de façon renforcée d’ailleurs. Les nouveaux programmes sont clairement en cohérence avec la possibilité de moduler les horaires sur le cycle 4 et avec l’introduction des EPI, tout en restant nationaux avec des repères bien identifiés. Ils sont plus cohérents entre eux du fait qu’ils sont construits sur le Socle commun. |
Du temps avec les élèves, ce qui implique : – des effectifs par classe nettement abaissés, – pas de réduction horaire ni de globalisation – des dédoublements dans toutes les disciplines, garantis dans des grilles nationales, – des heures de co-intervention financées, – des pratiques diversifiées rendues possibles par une formation digne de ce nom et un allègement de service |
Un catalogue de revendications assez hétéroclite. – On y trouve d’abord une réduction du nombre d’élèves, que ce soit dans les classes, dans un travail par groupes dans la co-intervention. Tout le monde le réclame, mais cela n’a aucun rapport avec la réforme du collège. Et l’état actuel des finances publiques rend pour l’instant le gouvernement sourd à ouvrir ce type de discussions. – Il n’y a pas de réductions horaires, simplement une autre utilisation des horaires disciplinaires avec l’introduction des EPI. La « globalisation » est juste une possibilité de modulation des horaires par niveau, laissée à l’appréciation des équipes, avec une garde-fou qui est que l’horaire global par discipline sur le cycle 4 est le même partout en France. – La formation est effectivement essentielle. Le gouvernement a promis un gros effort. Tous les collègues de collèges seront concernés d’après la circulaire ministérielle. Cependant, la traduction locale est à surveiller. – L’allègement se service pour les « pratiques diversifiées », comme la co-intervention, sont des pistes intéressantes … qui pourront (en partie au moins) exister grâce aux EPI ! |
En conclusion, il faut revenir au titre du tract, « réforme c’est toujours non ». On a ici, et c’est classique, toute une série de critiques sur un projet de réforme, et en contrepoint des revendications qui sont censées faire office de contre-projet. Certes cette réforme telle qu’elle existe aujourd’hui, même si elle va dans le bon sens, pose un certain nombre de problèmes, en particulier dans son application. Certes il y aura des changements, des situations individuelles moins favorables qu’aujourd’hui (et d’autres seront améliorées). Peut-être aussi cette réforme se perdra-t-elle dans les sables de l’inertie administrative chère à l’Education nationale ou sera-t-elle arrêtée par la mauvaise volonté des personnels encouragés par certaines organisations syndicales. Ou peut-être même une nouvelle majorité au pouvoir en 2017 reviendra-t-elle à un système plus traditionnel.
Il n’en reste pas moins que si cette réforme est un échec, cela démontrera que l’Education nationale est bloquée. Car s’il y a eu quelques couacs de communication, il n’y a pas grand chose à reprocher au processus choisi par le ministère : la nécessité des changements amenés par cette réforme était actée par l’essentiel des acteurs de l’éducation, y-compris par certains syndicats qui s’y opposent aujourd’hui ; une longue consultation a précédé les premiers projets (et cela ne contredit pas la nécessité in fine des arbitrages) ; le ministère a voulu partir d’expériences qui ont fonctionné ; les textes donnent une vraie liberté aux équipes ; la réforme est pensée et mise en oeuvre globalement ; des moyens sont mis par l’Etat dans une période de difficultés budgétaires.
Que demander de plus ? On peut toujours demander plus ou autre chose, mais on ne trouvera pas dans l’assemblage hétéroclite des critiques un projet cohérent de changement. Certains s’y opposent sur le fond (toucher aux disciplines, donner une autonomie aux équipes), d’autres pointent tel ou tel problème qu’amènera la réforme (parfois à raison). Mais quelle que soit la bonne volonté des uns ou des autres, un report de la réforme du collège ou une re-discussion amènerait de toute évidence un statu quo qui donnerait pour les électeurs un autre sens au titre de ce tract : « la réforme (dans l’Education nationale), c’est toujours non ! »